COVID-19 : ENTRE FORCE MAJEURE ET IMPREVISION
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 25 avr. 2020
- 6 min de lecture
Les opérateurs économiques sont dans le désarroi car ils se trouvent, pour la plupart, dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations contractuelles suite aux conséquences directes ou indirecte du COVID-19. Cela entraine de graves conséquences sur les possibilités de survie de leurs activités.
Ainsi, le respect de la sacro-sainte règle du « Pacte sunt servanda » s’avère intenable. Fort heureusement, il est toujours possible de recourir au droit commun, qui reste en principe applicable. Partant, deux instruments juridiques s’offrent aux opérateurs économiques pour faire face à cette période difficile : la force majeure et l’imprévision.
Si la force majeure est codifiée dans la plupart des législations nationales et régionales, l’imprévision par contre reste une théorie immergée de lege lata dans la plupart des systèmes juridiques. Les deux restent cependant usuelles dans les situations de crises comme celle du COVID-19.
La force majeure en droit privé est définie comme « la circonstance exceptionnelle, étrangère à la personne de celui qui l’éprouve, qui a eu pour résultat de l’empêcher d’exécuter les prestations qu’il devait à son créancier[1] ». Le dictionnaire juridique DALLOZ la définit comme « l’événement imprévisible et insurmontable empêchant le débiteur d’exécuter son obligation[2] ».
Cette deuxième définition, qui n’est pas universelle ; les conceptions de la force majeure variant d’un système juridique à un autre, épouse la conception du droit civil français[3] et de l’OHADA[4] de la notion de force majeure.
La théorie de l’imprévision quant à elle est une notion fondamentale issue de la théorie générale des contrats qui propose que soit reconnu aux juges un pouvoir de modification du contenu contractuel lorsque les circonstances imprévisibles en ont bouleversé l’économie au point de rendre son exécution excessivement difficile.
Des définitions de ces deux théories, laquelle se rapproche-t-elle le plus de la pandémie du COVID-19 ? Les opérateurs économiques doivent recourir à laquelle de ces théories pour faire face aux conséquences du COVID-19 sur leurs activités ?
Il convient de dégager leurs champs d’application et leurs conséquences avant d’opérer le choix qui se rapprocherait de l’objectivité.
Champs d’application de la force majeure et de l’imprévision
La force majeure
La notion de force majeure suppose de la réunion de trois critères à savoir :
- L’imprévisibilité;
- L’extériorité;
- L’irrésistibilité.
Le débiteur de l’obligation qui l’invoque doit pouvoir établir que les conséquences de la pandémie COVID-19 rendent impossible l’exécution du contrat. En d’autres termes, il devra démontrer en quoi les conséquences du fait ou de l’événement qu’il invoque comme force majeure l’empêchent de remplir ses obligations contractuelles.
Si la force majeure opère dans le cas où le contrat a été passé avant la survenance de la pandémie du COVID-19, elle devient inapplicable dans le cas où le contrat aurait été conclu après sa survenance.
La difficulté résidera ici dans la détermination de la période à partir de laquelle on pourrait considérer que le COVID-19 pouvait être connu par les parties pour impacter sur leur contrat.
En effet, doit-on considérer la date à laquelle le COVID-19 a été découvert en Chine ? La date à laquelle la France a eu son premier cas ? Ou encore la date de la Loi N°2020-290 dite loi d’urgence pour faire face à épidémie du COVID-19 et ses ordonnances subséquentes ?
La difficulté est d’autant plus forte que ce n’est pas tant l’épidémie elle-même qui constitue l’empêchement, mais davantage les mesures prises pour freiner sa propagation et qui ne cessent au demeurant de changer, tant dans le temps que dans l’espace.
Cette difficulté qui n’est pourtant pas le principal obstacle, est cependant un facteur réducteur de la force majeure tant l’imprévisibilité qu’elle exige est ici absolue et non relative.
Aussi, l’irrésistibilité est un critère épineux dès lors qu’il est presqu’impossible de démontrer que le COVID-19 justifie une incapacité totale d’exécution de son obligation contractuelle, les probabilités étant grandes de trouver dans la pratique une nouvelle forme de travail, un nouveau circuit de distribution, un remplaçant ou plus largement des mesures appropriées de l’article 1218 du code civil pour fournir la prestation prévue.
L’imprévision
La théorie de l’imprévision a fait son entrée en droit privé français depuis l’ordonnance du 10 février 2016.
En effet, l’article 1195 du code civil français dispose que : «« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. ».
Il ressort des dispositions de cet article que la théorie de l’imprévision suppose la réunion de trois critères :
- l’imprévisibilité (un changement de circonstances imprévisible au moment de la formation du contrat) ;
- L’exécution excessivement onéreuse du contrat ;
- L’extériorité (aucune des parties ne doit avoir accepté d’assumer les risques de l’imprévision).
Contrairement à l’imprévisibilité de la force majeure, celle de l’imprévision n’est pas absolue. Il suffit juste que le « changement de circonstances » soit imprévisible (ce qui est beaucoup plus facile à établir surtout pour le COVID-19) et que le coût excessivement onéreux puisse être établi (ce qui peut être démontré facilement, par un déficit d’exploitation ou même un dépassement du prix prévisionnel).
L’imprévisibilité est assortie d’une seconde condition qui en est la conséquence directe, puisqu’elle rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse. En d’autres termes, l’imprévision ne rend pas l’exécution de l’obligation impossible mais seulement plus difficile.
Le rôle préventif de l’imprévision est donc un moyen efficace d’inciter les parties à négocier.
En plus des conditions précises et une procédure très rigoureuse, l’article 1195 du code civil permet désormais à une partie de demander, sous certaines conditions, la renégociation du contrat et, en cas de refus ou d’échec des négociations, de saisir un juge afin de lui demander de réviser le contrat ou d’y mettre fin.
Cette disposition, très récente trouvera certainement application dans le cadre d’un contentieux lié à la crise sanitaire actuelle de COVID-19.
Malheureusement, l’OHADA n’a toujours pas légiféré sur cette théorie qui pourtant présente des avantages certains pour les opérateurs économiques qui n’ont pour seul levier que la force majeure en cas d’impossibilité d’exécution de leurs obligations contractuelles du fait de la pandémie COVID-19.
Il est plus qu’urgent que, comme la Pologne, l’Allemagne ou la Chine, le législateur OHADA valide l’avant-projet de l’Acte Uniforme OHADA portant Droit Général des obligations en examen depuis novembre 2015.
Tout comme la force majeure, l’imprévision qui n’est pas d’ordre public peut être exclue ou réaménagée par une clause. Tout dépend de la volonté des parties au moment de contracter et parfois de la nature du contrat. Il faut encore regarder minutieusement les mesures étatiques qui ont été prises pour apprécier de l’application ou non de l’imprévision.
Les conséquences de la force majeure et de l’imprévision
La force majeure est exonératoire. L’une des premières conséquences de la force majeure est l’exonération de la responsabilité du débiteur de l’obligation s’il est défaillant.
La seconde conséquence est la suspension de l’exécution du contrat ou son report à une date ultérieure après la cessation de la force majeure, ou tout simplement la suspension des effets du contrat.
Dans l’hypothèse où la force majeure persiste, le contrat peut tout simplement être résilié suivant la volonté des parties qui peuvent également choisir à la résiliation, la négociation de nouveaux termes du contrat.
Contrairement à la force majeure qui n’est pas structurée dans son application au regard de l’article 1218 du code civil, l’imprévision quant à elle obéit à une procédure rigoureuse.
Ainsi, l’article 1195 du code civil a instauré une approche par phases prévoyant :
- D’abord une demande de renégociation formulée par une partie à l’adresse de son contractant ;
- Ensuite, en cas de refus de renégocier, ou d’échec de renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de procéder à son adaptation ;
- Enfin, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin.
À la différence de la force majeure, l’imprévision n’a malheureusement pas d’effet suspensif ; la partie qui l’invoque devra dès lors poursuivre l’exécution de son obligation jusqu’à l’issue de la procédure. Cependant, elle pourrait en être libérée si les circonstances en imposent l’arrêt ou si l’obstacle ne peut pas être surmonté.
La force majeure tout comme l’imprévision sont des mécanismes juridiques mis à la disposition des opérateurs économiques pour faire face aux difficultés liées à l’exécution de leurs activités. Chacune présente tant des points positifs que négatifs.
En conclusion, il apparaît que la clause de force majeure et la clause d’imprévision sont deux outils juridiques dont l’utilisation et les effets seront conditionnés par chaque cas d’espèce.
D’ailleurs, l’imprévision pourrait constituer un atout supplémentaire dans le cas où la force majeure ne serait pas retenue. Et c’est là tout l’intérêt de les avoir dans un système juridique sous forme codifiée, ceci permettrait une conciliation des exigences de liberté, de sécurité juridique, de flexibilité et de justice contractuelle.
Le choix des parties dans l’aménagement de ces différents mécanismes milite en faveur d’une liberté certaine en s’affranchissant du recours au juge. Il faut tout de même une bonne dose de bonne foi des parties, sinon la graduation des solutions proposées par l’imprévision et sa grande adaptabilité pourra s’avérer longue et coûteuse.
Bien plus que l’existence ou non de mesures théoriques de substitution, le débat devrait porter sur le surcoût bien réel engendré par le COVID-19, car l’après crise sanitaire sera certainement plus difficile encore. Il conviendra donc, à chaque fois qu’il faudra explorer l’une de ces deux théories, de conjuguer adaptabilité et graduation des solutions.
[1] Dictionnaire juridique de Serge BRAUDO, https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/force-majeure.php (consulté le 7/4/2020) [2] https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000491 (consulté le 7/4/2020) [3] Article 1218 alinéa 1 du code civil français. [4] Article 294 Acte Uniforme portant Droit Commercial Général.
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