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DE L’ALLEGEMENT DE LA DETTE DES PAYS AFRICAINS FACE AU COVID-19 PAR LE FMI

  • Photo du rédacteur: Jacques-Brice MOMNOUGUI
    Jacques-Brice MOMNOUGUI
  • 25 avr. 2020
  • 11 min de lecture

Le 27 mars 2020, le Fonds Monétaire International a décidé de renforcer son fonds fiduciaire d’allégement de la dette pour aider les pays à faible revenu admissibles face à la pandémie de COVID-19[1] .

Pour ce faire, le FMI aurait pris les mesures suivantes :

- Une modification des critères d’admissibilité audit fonds afin de mieux englober les circonstances créées par une pandémie mondiale et de mettre l’accent sur l’octroi d’une aide pour les besoins les plus immédiats ;

- La mise en place d’une levée de fonds permettant de reconstituer le fonds fiduciaire ARC, « qui ne disposait que de 200 millions de dollars pour les pays les plus pauvres du monde » afin de fournir environ 1 milliard de dollars face à la pandémie actuelle ; la Grande Bretagne, le Japon et la Chine seraient en lice pour cette levée de fonds.

Selon la Directrice générale du FMI, Mme Kristalina Georgieva : « Grâce à ce réaménagement, le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI peut maintenant offrir un allégement rapide du service de la dette au titre d’obligations envers le FMI à un plus grand nombre de nos pays membres les plus pauvres et les plus vulnérables. Cela les aidera à orienter une plus grande partie de leurs rares ressources financières vers leurs efforts médicaux d’urgence et autres opérations vitales de secours (…) Par ailleurs, nous appelons les pays donateurs à reconstituer les ressources du fonds fiduciaire pour accroître notre capacité à fournir un allégement supplémentaire du service de la dette à nos pays membres les plus pauvres. »

Les pays bénéficiaires de cette aide[2] sont les suivants : Afghanistan, Bénin, Burkina Faso, Comores, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Haïti, Îles Solomon, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Népal, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Tadjikistan, Tchad, Togo et Yémen.

En quoi consiste ce fonds et comment ça marche ? S’agit-il vraiment d’une aide ?

I. Historique

En février 2015, le FMI a transformé le fonds fiduciaire pour l’allègement de la dette après une catastrophe (ADAC) afin de créer le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (ARC), élargissant ainsi l’éventail des situations couvertes par son aide afin d’y inclure les épidémies à propagation rapide.

Le nouveau fonds fiduciaire permet au FMI de se joindre aux efforts internationaux d’allègement de la dette lorsque des pays pauvres sont touchés par une catastrophe naturelle aux conséquences désastreuses (comme c’était déjà le cas avec le fonds fiduciaire ADAC) et d’aider les pays pauvres à lutter contre des catastrophes de santé publique (maladies infectieuses épidémiques, par exemple) à l’aide de dons destinés à alléger le service de la dette.

L’allègement de dette au titre du fonds fiduciaire ARC vise donc à libérer des ressources pour répondre aux besoins exceptionnels de balance des paiements créés par la catastrophe.

II. Nature juridique et Régime Juridique du fonds fiduciaire ARC

A. Nature juridique : Un fonds fiduciaire « Charity Trust international »

La fiducie est un mécanisme juridique semblable au trust[3] de la Common Law. Le Trust a été défini par Maitland comme suit : « lorsqu’une personne a des droits qu’elle est tenue d’exercer a) pour le compte d’une autre personne b) pour l’accomplissement de quelque fin particulière, elle est dite avoir ces droits en Trust (en confiance) pour cette autre personne et à cette fin, et on l’appelle le trustee »

En Common Law, les trois conditions pour la réunion d’un Trust sont : i) une intention précise, ce qui le rend différend d’une donation ; ii) des bénéficiaires certains ; iii) des biens affectés certains. Lorsque le trust est constitué pour des causes sociales, on parle de « Charitable trust », qui ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu.

En droit français la fiducie s’entend comme : « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. » (Article 2011 du Code civil). Le droit français établit une distinction entre la fiducie-gestion, la fiducie-libéralité et la fiducie-sûreté

Le droit OHADA n’a prévu que la fiducie-sûreté, c’est-à-dire la possibilité pour un débiteur d’affecter une partie de son patrimoine à un établissement financier, appelé « agent de sûreté » en vue de garantir sa dette (Article 5 de l’Acte Uniforme sur les sûretés[4]).

B. Régime juridique du fonds ARC

Le fonds fiduciaire ARC est doté de deux guichets :

- un guichet d’assistance suite à une catastrophe qui prévoit une aide exceptionnelle en cas de catastrophe naturelle aux conséquences désastreuses ;

- un guichet de riposte aux catastrophes qui offre une aide pour empêcher la propagation d’une catastrophe de santé publique.

C’est le deuxième guichet qui va nous intéresser dans le cadre de la riposte contre le Covid-19.

1. Conditions générales d’admission communes aux deux guichets

A sa constitution, l’aide au titre du fonds fiduciaire ARC s’adressait à 38 pays à faible revenu. Le FMI a donc désormais décidé de l’étendre à tous les pays à faible revenu.

Pourront en bénéficier les pays qui remplissent les conditions voulues pour obtenir des prêts concessionnels[5] du fonds fiduciaire RPC sur les critères suivants :

- Pour tous pays : dont le revenu par habitant est inférieur à 1.215 US dollars ;

- Pays comptant moins de 1,5 million d’habitants : dont le revenu par habitant est inférieur à 2.430 US dollars.

Le critère fondamental d’admission est donc le revenu par habitant et le nombre d’habitants.

2. Conditions spécifiques au Guichet de riposte aux catastrophes (RC)

Comme précédemment rappelé, son objet est de fournir une aide aux pays à faible revenu admissibles frappés par une catastrophe de santé publique.

a. Les cas visés

a.1. Cas numéro 1°) Faire face à une catastrophe de santé publique aux répercussions économiques

L’aide vise uniquement les catastrophes de santé publique potentiellement mortelles qui se propagent sur plusieurs régions du pays touché, causant de graves perturbations économiques et risquant de se propager ou se propageant déjà à d’autres pays.

Pour qu’une catastrophe économique soit jugée grave, il faut au moins : i) une perte cumulée du PIB réel de 10 % ou (ii) une perte de recettes et une hausse des dépenses qui, cumulées, équivalent à au moins 10 % du PIB.

Pour pouvoir bénéficier des aides, le pays touché doit, en outre, engager des mesures macroéconomiques appropriées pour s’attaquer aux besoins de balance des paiements.

a.2. Cas numéro 2°) faire face à une pandémie aux répercussions économiques mondiales

Le second critère ajouté récemment par le FMI est le suivant :

« lorsqu’une pandémie cause de graves perturbations économiques dans l’ensemble des pays membres du FMI et crée des besoins de financement de la balance des paiements d’une ampleur telle qu’il est justifié de déployer un effort international concerté pour aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables.[6] ».

b. Effets : Allégement de la dette en termes de flux

S’ils y ont droit, les pays à faible revenu victimes d’une catastrophe de santé publique bénéficieront de dons leur permettant de régler immédiatement les échéances à venir de leur dette admissible envers le FMI.

Ces dons sont plafonnés à 20 % de la quote-part du pays.

L’aide pourra être plus importante dans les trois cas exceptionnels suivants :

- les obligations au titre du service de la dette envers le FMI sont anormalement lourdes à court terme ;

- un effort international est mobilisé pour alléger le service de la dette, en termes de flux, du pays ;

- le pays est classé parmi les pays surendettés ou à fort risque de surendettement en vertu du Cadre de viabilité de la dette établi conjointement par la Banque mondiale et le FMI.

3. Financement du fonds fiduciaire ARC

A sa création, le fonds fiduciaire ARC a été financé avec le reliquat du fonds fiduciaire ADAC (environ 102 millions de DTS[7], soit l’équivalent de 144 millions de dollars) et les comptes non utilisés pour le financement de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (approximativement 52 millions de DTS, soit l’équivalent de 74 millions de dollars).

Le fonds est donc financé par les pays volontaires, comme c’est le cas actuellement pour le Covid-19.

Les prévisions du FMI indiquent que le fonds pourrait être abondé à hauteur de 1000 milliards USD ces prochains jours pour aider les pays les plus pauvres[8].

III. Analyse critique de l’aide du FMI au regard du Covid-19

Pour revenir à notre cas d’espèce, le FMI a donc constitué un fonds fiduciaire, une sorte de « Charity Trust International » que l’on peut schématiser comme suit :





En l’espèce, les pays qui bénéficieront de l’aide Covid-19 obtiendront des dons à hauteur de 20% de leur dette, sur les six prochains mois : Ils auront donc encore 80% de leur dette à leur charge !

Pour rappel, pour bénéficier des aides : 1°) Les pays devront justifier d’une catastrophe de santé publique potentiellement mortelles qui se propagent sur plusieurs régions du pays touché, causant de graves perturbations économiques, et risquant de se propager ou se propageant déjà à d’autres pays ; 2°) Il faut que cette pandémie entraîne une catastrophe économique jugée grave, c’est-à-dire i) une perte cumulée du PIB réel de 10 % ou (ii) une perte de recettes et une hausse des dépenses qui, cumulées, équivalent à au moins 10 % du PIB ; 3°) Des mesures macroéconomiques devront avoir été envisagées par cet Etat…

Si l’on examine les pays « élus » par le FMI pour bénéficier de cette aide, l’on peut sérieusement s’interroger sur la pertinence de ces critères au regard notamment de la gravité de la crise sanitaire et des répercussions économiques qu’il est susceptible d’entraîner :


Il ressort de ce tableau que les pays qui sont annoncés comme bénéficiaires de cet allègement ne sont pas à proprement parler en état de « crise sanitaire » justifiant la mise en place de l’assistance prévue par le fonds ARC du FMI, au regard de leur taux de contamination.

D’autres raisons justifient donc la mise en place de cet « allègement de la dette ».

En effet, il aurait fallu, si l’objectif était véritablement de lutter contre la crise sanitaire et ses conséquences, soutenir les pays « pauvres » les plus atteints par le virus.

Cette mise en place semble justifiée au par le second critère ajouté récemment par le FMI: « lorsqu’une pandémie cause de graves perturbations économiques dans l’ensemble des pays membres du FMI et crée des besoins de financement de la balance des paiements d’une ampleur telle qu’il est justifié de déployer un effort international concerté pour aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables.[9] ».

Or, il est fait référence aux graves perturbations économiques dans l’ensemble des pays membres du FMI et non aux graves perturbations économiques dans le pays pauvre concerné par l’aide.

Notre hypothèse est donc la suivante : l’appel du FMI à abonder ce fonds a surtout pour objectif de générer de nouveaux engagements à l’égard des pays pauvres et susciter de nouvelles garanties de la part des pays qui vont abonder le fonds.

Ainsi :

- des pays vont abonder le fonds afin de financer au minimum 20% de la dette des pays sélectionnés : ceci constitue donc un allègement de la dette ;

- le FMI va financer et alléger sous la forme de prêts concessionnels (avec des intérêts même s’ils sont réduits pour les pays pauvres) ;

- les pays qui ont abondé le fonds pourront bénéficier du fait de leur participation au fonds d’allocations de DTS, qui permettent de parer à la crise financière mondiale. Ainsi, selon le FMI : « les allocations de DTS de 2009 d’un montant total de 182,6 milliards de DTS ont été déterminantes pour approvisionner le système économique mondial en liquidités et pour compléter les réserves officielles des pays membres sur fond de crise financière mondiale[10] ».

Par le financement de ce fonds, le FMI va ainsi pouvoir générer les liquidités pour faire face à la crise financière mondiale qui se profile à l’issue de la crise sanitaire.

A notre sens, l’objectif n’est pas de soulager les pays pauvres atteints par le virus mais de renforcer le système économique mondial sous le prétexte de l’aide.

Partant, les pays qui vont s’engager sur ce chemin devront négocier strictement les conditions de cette aide providentielle provenant des pays majoritairement atteints par l’épidémie du Covid-19, afin qu’elle leur soit également profitable.

Les prêts non-concessionnels Il s’agit de prêts assortis du taux d’intérêt du FMI — le « taux de commission » — qui est fondé sur le marché. Les prêts de montant élevé (au-dessus d’un certain seuil) sont assortis d’une « commission additionnelle ». Le taux de commission (a) est basé sur le taux d’intérêt du DTS (a), qui est recalculé chaque semaine pour tenir compte des fluctuations à court terme des taux d’intérêt sur les principaux marchés monétaires internationaux. Le montant maximum qu’un pays peut emprunter au FMI — la « limite d’accès » — varie en fonction du type de prêt accordé, mais, en général, ce montant représente un multiple de la quote-part . Ces limites peuvent être dépassées dans des cas exceptionnels. L’accès aux accords de confirmation, à la ligne de crédit modulable et à la facilité élargie de crédit n’a pas de plafond prédéterminé. Ils sont accordés principalement par le biais des accords de confirmation, de la ligne de crédit modulable (LCM), de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) et du mécanisme élargi de crédit (surtout utile pour les besoins de moyen à long terme). Le FMI peut apporter une aide d’urgence aux pays membres confrontés à des besoins urgents de balance des paiements grâce à l’instrument de financement rapide (IFR). Les prêts concessionnels (pour les pays à faible revenu) Les nouveaux mécanismes de prêt concessionnel en faveur des pays à faible revenu sont entrés en vigueur en janvier 2010 au titre du fonds de fiducie pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance dans le cadre d’une réforme plus vaste visant à assouplir et à mieux adapter l’aide financière du FMI aux besoins divers des pays à faible revenu. Ici Les conditions de financement sont plus avantageuses et le taux d’intérêt est réexaminé tous les deux ans. Tous les mécanismes soutiennent des programmes pris en charge par les pays qui visent à atteindre une position macroéconomique durable et compatible avec une croissance et une réduction de la pauvreté vigoureuses et durables. On peut citer, comme catégories de ces prêts : - La facilité élargie de crédit (FEC) a remplacé la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) comme principal moyen pour le FMI d’accorder une aide à moyen terme aux pays à faible revenu ayant des problèmes prolongés de balance des paiements. Un financement au titre de la FEC est assorti d’un taux d’intérêt nul, d’un délai de remboursement de cinq ans et demi et d’une échéance finale de dix ans. - La facilité de crédit de confirmation (FCC) offre une aide financière aux pays à faible revenu ayant des besoins de balance des paiements à court terme. Elle remplace la composante à accès élevé de la facilité de protection contre les chocs exogènes (FCE) et peut être utilisée dans un large éventail de circonstances, y compris à titre de précaution. Un financement au titre de la FCC est assorti d’un taux d’intérêt nul, d’un délai de remboursement de quatre ans et d’une échéance finale de huit ans. - La facilité de crédit rapide (FCR) offre une aide financière rapide qui est assortie d’une conditionnalité limitée aux pays à faible revenu qui font face à un besoin urgent de balance des paiements. Elle réorganise l’aide d’urgence aux pays à faible revenu et peut être utilisée de manière souple dans un large éventail de circonstances. Un financement au titre de la FCR est assorti d’un taux d’intérêt nul, d’un délai de remboursement de cinq ans et demi et d’une échéance finale de 10 ans. (Source : https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/howlendf.htm) Le DTS est un actif de réserve international, créé en 1969 par le FMI pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres. En mars 2016, 204,1 milliards de DTS avaient été créés et alloués aux pays membres (soit l’équivalent d’environ 285 milliards de dollars). Les DTS peuvent être échangés contre des devises librement utilisables. À compter du 1er octobre 2016, la valeur du DTS repose sur un panier de cinq grandes devises : le dollar des États-Unis, l’euro, le renminbi chinois (RMB), le yen japonais et la livre sterling.


[3]Le Trust et ses applications modernes en droit anglais, B.A. WORTLEY, Revue Internationale de droit comparé, 1962, vol.14, n° 4, p.699-710

[4] L’article 5 de l’AUS en ces termes : « Toute sûreté ou autre garantie de l'exécution d'une obligation peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée par une institution financière ou un établissement de crédit, national ou étranger, agissant, en son nom et en qualité d'agent des sûretés, au profit des créanciers de la ou des obligations garanties l'ayant désigné à cette fin. » [5] Le FMI distingue deux types de prêts : les prêts non-concessionnels et les prêts concessionnels. [6]https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/03/27/pr20116-imf-enhances-debt-relief-trust-to-enable-support-for-eligible-lic-in-wake-of-covid19

 
 
 

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