DE LA PROLONGATION DE L’ETAT D’URGENCE SANITAIRE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 25 mai 2020
- 16 min de lecture
Dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil Constitutionnel a validé la prolongation de l’état d’urgence sanitaire résultant du projet de loi du 9 mai 2020, devenu après validation la loi du 11 mai 2020.
Cette décision appelle de notre part un certain nombre d’observations.
« * S'agissant des conditions d'engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du paragraphe II de l'article 1er de la loi déférée rappellent celles de droit commun et s'appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d'incompétence négative. »
En effet, l’article 1er paragraphe II de la loi du 9 mai 2020 a étendu le régime de responsabilité pénale non intentionnelle (article L 121-3 du Code pénal) aux personnes ayant engagé leur responsabilité par leurs décisions durant l’état d’urgence sanitaire.
Il résulte de l’article L 121-3 du Code pénal prévoit que : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
Cet article a été étendu aux personnes en responsabilité par la création d’un nouvel article L 3136-2 au sein du Code de la Santé Publique, rédigé comme suit : « L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur. »
Cette extension a été considérée comme conforme à la Constitution, quand bien même elle restreint le champ de l’article L 121-3 du Code pénal en l’assortissant de conditions supplémentaires telles les compétences, le pouvoir, les moyens, la nature des missions et des fonctions etc.
* S'agissant du régime de l'état d'urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel a jugé que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur d'en prévoir un. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée, qui découle de cet article 2, la liberté d'entreprendre qui découle de cet article 4, ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions résultant de l'article 11 de cette déclaration.
Au regard de ces exigences, le Conseil a constaté que le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre ces exigences constitutionnelles en adoptant les mesures autorisant le Premier ministre à réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et à réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ou à ordonner la fermeture provisoire et à réglementer l'ouverture des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion. S'agissant de ces lieux, il a en particulier relevé qu'ils ne s'étendaient pas aux locaux à usage d'habitation.
S'agissant des réquisitions de personnes, de biens et de services permises par le 7 ° du paragraphe I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, il a relevé qu'elles doivent être « nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ». En outre, ces réquisitions donnent lieu à indemnisation, dans les conditions prévues par le code de la défense.
Ce considérant n’appelle aucune observation de notre part.
* Concernant le régime des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement
Examinant le régime de quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées par la maladie à l'origine de la catastrophe sanitaire ayant justifié la déclaration de l'état d'urgence sanitaire ainsi que le régime de placement et de maintien en isolement des personnes affectées pour une durée initiale de quatorze jours, renouvelable dans la limite d'une durée maximale d'un mois, le Conseil constitutionnel a jugé que constituaient des mesures privatives de liberté les mesures consistant en un isolement complet, lequel implique une interdiction de « toute sortie ». Il en va de même lorsqu'elles imposent à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour.
Pour statuer comme il a fait le Conseil a d’abord rappelé que sur le fondement de l'article 66 de la Constitution que « la liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. »
Partant, selon le Conseil, en prévoyant la mise à l'écart des personnes atteintes de la Covid-19 du reste de la population par un isolement, partiel ou complet de façon à prévenir la propagation de la maladie à l'origine de la catastrophe sanitaire, le législateur « a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ».
Au demeurant la décision du Conseil est venue au soutien des garanties mises en avant par l’Etat :
· que ces mesures ne pourront viser que les personnes ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection qui entrent sur le territoire national ou qui déjà présentes sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution ;
· que, en cas de placement en isolement, la décision, qui est subordonnée à la constatation médicale de l'infection de la personne, ne peut être prise qu'au vu d'un certificat médical ;
· que ces mesures ne pourront être prolongées au-delà d'un délai de quatorze jours qu'après avis médical établissant la nécessité de cette prolongation.
Toutefois, s'agissant du contrôle de ces mesures, le Conseil constitutionnel a retoqué les dispositions du cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 3131-17 du code de la santé publique prévoyant que les mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement interdisant toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine ou se déroule l'isolement ne peuvent se poursuivre au-delà d'un délai de quatorze jours sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le préfet, ait autorisé cette prolongation, dès lors qu’aucune intervention systématique d'un juge judiciaire n'est prévue dans les autres hypothèses.
Ainsi, par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que, « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l'autorisation du juge judiciaire. »
En outre, le Conseil constitutionnel a censuré comme méconnaissant la liberté individuelle l'article 13 de la loi déférée qui avait pour effet, à compter de l'entrée en vigueur de la loi déférée, de laisser subsister, au plus tard jusqu'au 1er juin 2020, le régime juridique actuellement en vigueur des mesures de mise en quarantaine et de placement et maintien à l'isolement en cas d'état d'urgence sanitaire.
Il a en effet jugé que, « si le dernier alinéa de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique dans sa rédaction actuellement en vigueur prévoit que ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu et qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires, le législateur n'a assorti leur mise en œuvre d'aucune autre garantie, notamment quant aux obligations pouvant être imposées aux personnes y étant soumises, à leur durée maximale et au contrôle de ces mesures par le juge judiciaire dans l'hypothèse où elles seraient privatives de liberté. »
Afin de bien se rendre compte de l’enjeu de ce considérant, il est reproduit intégralement le texte de l’article L 3131-15 du Code de la Santé publique, en sa version actuellement en vigueur compte des larges pouvoirs qu’il accorde aux pouvoirs publics dans la mise en œuvre des mesures de restriction des libertés publiques des personnes contaminées ou non dans le cadre de la crise sanitaire :
« I. - Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;
2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ;
4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;
5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;
6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
7° Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. L'indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;
8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;
9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ;
10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code.
II. - Les mesures prévues aux 3° et 4° du I du présent article ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. La liste des zones de circulation de l'infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Elle fait l'objet d'une information publique régulière pendant toute la durée de l'état d'urgence sanitaire. Aux seules fins d'assurer la mise en œuvre des mesures mentionnées au premier alinéa du présent II, les entreprises de transport ferroviaire, maritime ou aérien communiquent au représentant de l'Etat dans le département qui en fait la demande les données relatives aux passagers concernant les déplacements mentionnés au même premier alinéa, dans les conditions prévues à l'article L. 232-4 du code de la sécurité intérieure.
Les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement peuvent se dérouler, au choix des personnes qui en font l'objet, à leur domicile ou dans les lieux d'hébergement adapté.
Leur durée initiale ne peut excéder quatorze jours. Les mesures peuvent être renouvelées, dans les conditions prévues au III de l'article L. 3131-17 du présent code, dans la limite d'une durée maximale d'un mois. Il est mis fin aux mesures de placement et de maintien en isolement avant leur terme lorsque l'état de santé de l'intéressé le permet.
Dans le cadre des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement, il peut être fait obligation à la personne qui en fait l'objet de :
1° Ne pas sortir de son domicile ou du lieu d'hébergement où elle exécute la mesure, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par l'autorité administrative. Dans le cas où un isolement complet de la personne est prononcé, il lui est garanti un accès aux biens et services de première nécessité ainsi qu'à des moyens de communication téléphonique et électronique lui permettant de communiquer librement avec l'extérieur ;
2° Ne pas fréquenter certains lieux ou catégories de lieux.
Les personnes et enfants victimes des violences mentionnées à l'article 515-9 du code civil ne peuvent être mis en quarantaine, placés et maintenus en isolement dans le même logement ou lieu d'hébergement que l'auteur des violences, ou être amenés à cohabiter lorsque celui-ci est mis en quarantaine, placé ou maintenu en isolement, y compris si les violences sont alléguées. Lorsqu'il ne peut être procédé à l'éviction de l'auteur des violences du logement conjugal ou dans l'attente d'une décision judiciaire statuant sur les faits de violence allégués et, le cas échéant, prévoyant cette éviction, il est assuré leur relogement dans un lieu d'hébergement adapté. Lorsqu'une décision de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement est susceptible de mettre en danger une ou plusieurs personnes, le préfet en informe sans délai le procureur de la République.
Les conditions d'application du présent II sont fixées par le décret prévu au premier alinéa du I, en fonction de la nature et des modes de propagation du virus, après avis du comité de scientifiques mentionné à l'article L. 3131-19. Ce décret précise également les conditions dans lesquelles sont assurés l'information régulière de la personne qui fait l'objet de ces mesures, la poursuite de la vie familiale, la prise en compte de la situation des mineurs, le suivi médical qui accompagne ces mesures et les caractéristiques des lieux d'hébergement.
III. - Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. »
Compte tenu de la nature et la durée de ces dispositions restrictives bien qu’elles aient été jugées proportionnées, il convient d’être particulièrement vigilent au contentieux qui pourra naître de la mise à l’isolement des personnes atteintes de la Covid-19.
* Concernant le système d'information destiné à permettre le traitement de données destinées au « traçage » des personnes atteintes par le covid-19 et de celles ayant été en contact avec ces dernières, sans le consentement des intéressés
►Sur le principe de la collecte
Le Conseil constitutionnel a tout d’abord rappelé que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
Il a en outre jugé pour la première fois que, lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
S’il a reconnu que le dispositif existant, consistant au traitement et au partage, sans le consentement des intéressés, de données à caractère personnel relatives à la santé des personnes atteintes par la maladie du covid-19 et des personnes en contact avec elles, portent atteinte au droit au respect de la vie privée, Il a cependant retenu qu’elles poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Le Conseil a donc procédé à un examen de l’adéquation et de la proportionnalité de l’atteinte portée aux libertés fondamentales en relevant que :
· la collecte, le traitement et le partage des données personnelles précitées ne peuvent être mis en œuvre que dans la mesure strictement nécessaire à quatre finalités déterminées ;
· le champ des données de santé à caractère personnel susceptibles de faire l'objet de la collecte, du traitement et du partage en cause, a été restreint par le législateur aux seules données relatives au statut virologique ou sérologique des personnes à l'égard de la maladie covid-19 ou aux éléments probants de diagnostic clinique et d'imagerie médicale précisés par décret en Conseil d'État pris après avis du Haut Conseil de la santé publique ;
· l'exigence de suppression des nom et prénoms des intéressés, de leur numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques et de leur adresse, dans les parties de ces traitements ayant pour finalité la surveillance épidémiologique et la recherche contre le virus, doit également s'étendre aux coordonnées de contact téléphonique ou électronique des intéressés.
►Sur le champ des personnes susceptibles d'avoir accès à ces données à caractère personnel
L’article 11 de la Loi d’état d’urgence sanitaire n° II prévoit désormais que :
«
I. - Par dérogation à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et pour la durée strictement nécessaire à cet objectif ou, au plus, pour une durée de six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, des données à caractère personnel concernant la santé relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être traitées et partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées, dans le cadre d'un système d'information créé par décret en Conseil d'Etat et mis en œuvre par le ministre chargé de la santé.
Le ministre chargé de la santé ainsi que l'Agence nationale de santé publique, un organisme d'assurance maladie et les agences régionales de santé peuvent en outre, aux mêmes fins et pour la même durée, être autorisés par décret en Conseil d'Etat à adapter les systèmes d'information existants et à prévoir le partage des mêmes données dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa du présent I.
(…)
III. - Outre les autorités mentionnées au I, le service de santé des armées, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, les équipes de soins primaires mentionnées à l'article L. 1411-11-1 du code de la santé publique, les maisons de santé, les centres de santé, les services de santé au travail mentionnés à l'article L. 4622-1 du code du travail et les médecins prenant en charge les personnes concernées, les pharmaciens, les dispositifs d'appui à la coordination des parcours de santé complexes prévus à l'article L. 6327-1 du code de la santé publique, les dispositifs spécifiques régionaux prévus à l'article L. 6327-6 du même code, les dispositifs d'appui existants qui ont vocation à les intégrer mentionnés au II de l'article 23 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ainsi que les laboratoires et services autorisés à réaliser les examens de biologie ou d'imagerie médicale pertinents sur les personnes concernées participent à la mise en œuvre de ces systèmes d'information et peuvent, dans la stricte mesure où leur intervention sert les finalités définies au II du présent article, avoir accès aux seules données nécessaires à leur intervention. Les personnes ayant accès à ces données sont soumises au secret professionnel. En cas de révélation d'une information issue des données collectées dans ce système d'information, elles encourent les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal. »
Compte tenu de l’étendue des personnes pouvant avoir accès aux données personnelles des patients sans leur consentement on se serait attendu à ce que le Conseil constitutionnel censure l’intégralité du dispositif.
Au contraire, il n’a procédé qu’à une censure a minima.
Il ainsi considéré que « si la liste en est particulièrement étendue, cette extension est rendue nécessaire par la masse des démarches à entreprendre pour organiser la collecte des informations nécessaires à la lutte contre le développement de l'épidémie ».
Toutefois, il a assorti sa validation des réserves d’interprétations suivantes :
· que les agents de ces organismes ne sont pas autorisés à communiquer les données d'identification d'une personne infectée, sans son accord exprès, aux personnes qui ont été en contact avec elle. En outre, et de manière plus générale, ces agents sont soumis aux exigences du secret professionnel et ne peuvent donc, sous peine du délit prévu à l'article 226-13 du code pénal, divulguer à des tiers les informations dont ils ont connaissance par le biais du dispositif ainsi instauré ;
· qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir des modalités de collecte, de traitement et de partage des informations assurant leur stricte confidentialité et, notamment, l'habilitation spécifique des agents chargés, au sein de chaque organisme, de participer à la mise en œuvre du système d'information ainsi que la traçabilité des accès à ce système d'information ;
· que si le législateur a autorisé les organismes concourant au dispositif à recourir, pour l'exercice de leur mission dans le cadre du dispositif examiné, à des organismes sous-traitants, ces sous-traitants agissent pour leur compte et sous leur responsabilité. Pour respecter le droit au respect de la vie privée, ce recours aux sous-traitants doit s'effectuer en conformité avec les exigences de nécessité et de confidentialité mentionnée par la présente décision ;
· que ce dispositif ne peut s'appliquer au-delà du temps strictement nécessaire à la lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19 ou, au plus tard, au-delà de six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020.
· que les données à caractère personnel collectées, qu'elles soient ou non médicales, doivent, quant à elles, être supprimées trois mois après leur collecte.
Il a en revanche a censuré comme méconnaissant le droit au respect de la vie privée la deuxième phrase du paragraphe III de l'article 11 incluant dans ce champ des personnes susceptibles d’avoir accès aux données personnelles « les organismes qui assurent l'accompagnement social des intéressés » en relevant que « s'agissant d'un accompagnement social qui ne relève pas directement de la lutte contre l'épidémie, rien ne justifie que l'accès aux données à caractère personnel traitées dans le système d'information ne soit pas subordonné au recueil du consentement des intéressés. »
Au final, si l’on devait résumer l’avis du Conseil Constitutionnel :
· l’ensemble du dispositif de la Loi d’état d’urgence sanitaire a été validé dès lors qu’elle poursuit « l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé », sous quelques « mini » réserves ;
· le régime de l’état d’urgence sanitaire est conforme à la constitution dès lors que le législateur a procédé à une « conciliation équilibrée avec les exigences constitutionnelles » ;
· la responsabilité pénale des personnes ayant pris des décisions dans le cadre de la crise sanitaire sera fondée sur le régime de la faute pénale non intentionnelle (imprudence, négligence ou mise en danger délibérée de la vie d’autrui) en tenant compte « des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions » ;
· Le juge des libertés pourra être saisi dès le commencement de la mesure de « placement en isolement sans consentement » des personnes atteintes de Covid-19, dès lors que la durée de cette mesure excédera douze heures ; le reste du dispositif avec toutes les restrictions étant validées ;
· Le principe de la collecte des données personnelles des patients atteints de Covi-19 et des personnes avec lesquelles il aura été en contact, sans leur consentement, est validé y compris leur transmission à une liste très étendue de personnes publiques et privées à l’exception des « organismes qui assurent l'accompagnement social des intéressés », bien que le Conseil reconnaisse que cette collecte porte atteinte aux libertés fondamentales des intéressés.
Pour conclure, la France est désormais « déconfinée » mais au nom d’un « objectif à valeur constitutionnelle » ; les atteintes aux libertés fondamentales sont désormais validées par notre plus haute instance dès lors qu’elles lui paraissent « proportionnelles au but poursuivi ».
Jamais les pouvoirs publics n’auront bénéficié d’autant de marge de manœuvre pour décider du sort de nos libertés sans avoir à répondre de leurs actes sous le régime d’une responsabilité pénale intentionnelle. Il faudra donc agir, pour ceux qui « se sentent pousser des ailes » sur le régime de la responsabilité pénale pour imprudence ou négligence, en tenant compte des informations, pouvoirs et moyens dont disposaient ces autorités au moment de la prise de leurs décisions et non a posteriori.
Enfin rappelons que l’article 7 de la loi d’état d’urgence sanitaire numéro I du 24 mars 2020 a prévu que : « Le chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est applicable jusqu'au 1er avril 2021. »
Or, c’est précisément ce chapitre qui donne tous pouvoirs aux autorités publiques sur nos libertés, en leur permettant de nous confiner, restreindre nos déplacements, nous imposer la « distanciation sociale », collecter et traiter nos données de santé sans notre consentement, nous mettre à l’isolement forcé en cas de contraction de cette maladie, etc.
Alors, sommes-nous vraiment en liberté ou sous contrôle des autorités publiques au moins jusqu’au 1er avril 2021 ?
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