GEORGE FLOYD ET LA PROPOSITION DE LOI D’ERIC CIOTTI SUR LA CAPTATION DES INTERVENTIONS DE POLICE
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 1 juin 2020
- 18 min de lecture
Par
Jacques-Brice MOMNOUGUI
Fondateur du Journal
Directeur de Publication
Au moment où les Etats d’Unis d’Amérique traversent l’une des plus grosses crises sociales de leur histoire, suite au décès de George Floyd sous la pression du genou d’un policier en « mondovision »[1], M. Eric CIOTTI et plusieurs autres députés signataires[2], ont déposé une proposition de loi visant à rendre non identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion d’images dans l’espace médiatique.
L’article unique de cette proposition vise à créer un article 35 quinquies au sein de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, rédigé comme suit :
« La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes est punie de 15 000 € d’amende et un an d’emprisonnement.
L’amende ne peut être inférieure à 10 000 € et la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à six mois. Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une amende inférieure à ce montant ou une peine inférieure ou autre en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
Lorsque le délit est commis en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une amende ou une peine inférieure à ces seuils que si l’accusé présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. »
Les motifs avancés par les députés rédacteurs, à la faveur d’une telle répression, sont les suivants :
« La prise d’images de représentants de forces de l’ordre en intervention et leur diffusion sur divers médias, notamment les réseaux sociaux, peut constituer un risque pour chacun d’entre eux et leur famille. En effet, les forces de l’ordre interviennent de plus en plus fréquemment dans un contexte de tensions importantes lié à une défiance envers l’autorité publique et associé à une augmentation de la violence quotidienne.
Parallèlement, la pratique du « policier bashing » se développe dangereusement. À titre d’exemple, la création d’application comme Urgence violences policières a pour effet de stigmatiser les forces de l’ordre mais aussi de faire circuler, notamment sur les réseaux sociaux, des informations souvent erronées sur celles-ci. La circulation d’images et de propos injurieux à l’encontre de nombreux policiers ou gendarmes les place très souvent dans un climat d’insécurité. Il est devenu fréquent que les policiers ou leurs familles soient menacés, voire même suivis et agressés jusqu’à leur domicile.
Cette situation est inacceptable, alors que nos forces de l’ordre font preuve d’un dévouement exemplaire en toutes circonstances au service de notre pays. La présente proposition de loi vise par conséquent à rendre systématiquement non identifiables les forces de l’ordre dans l’ensemble de l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux. Cela est indispensable pour assurer leur sécurité.
L’article unique prévoit que la diffusion par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes soit punie de 15 000 € d’amende et 1 an d’emprisonnement.
Afin de s’assurer que les auteurs de ces faits soient systématiquement sanctionnés, il est prévu la mise en place d’un dispositif de peines minimales dites ‘peines-planchers’ ».
Cette proposition de loi a été déposée et enregistrée le 26 mai 2020, soit un jour seulement après le décès de George FLOYD, puis renvoyée à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Si l’on peut s’étonner sur le « timing » de cette proposition, dans le contexte actuel de réprobation des techniques d’intervention policières dangereuses pour la vie, l’on doit surtout s’interroger, au plan juridique, sur le bien-fondé de cette proposition.
D’autant que la montée des violences policières a été accentuée avec la recrudescence des mouvements sociaux en France de ces dernières années : bonnets rouges, gilets jaunes, réforme des retraites, etc. De fait, en un an de mobilisation sociale on dénombre[3] « Quelque 2 500 blessés (…) Parmi eux, des blessés graves qui ont perdu un œil, ont vu leur main arrachée, leur mâchoire fracassée, ou gardent d'autres séquelles, durables. À Marseille, en décembre 2018, une octogénaire, Zineb Redouane, décède d'un arrêt cardiaque au bloc opératoire, après avoir été touchée au visage par une grenade lacrymogène en marge d'une manifestation contre l'habitat indigne, alors qu'elle se trouvait à son domicile, au quatrième étage. ».
Dans ce contexte, la proposition de loi est-elle réellement opportune voire nécessaire pour assurer la sécurité des policiers au regard du dispositif actuel ?
A l’analyse, cette proposition s’avère inopportune (I) voire incompatible avec le droit de la preuve (II) surtout en matière de violences policières.
I. Sur l’inopportunité de la proposition de loi au regard de la protection existante des fonctionnaires de police dans l’exercice de fonction
A. La protection des forces de l’ordre contre les diffamations
A l’origine, la loi sur la liberté de presse a été conçue pour affirmer et protéger le droit de diffusion des citoyens et partant, la liberté d’expression.
Peu à peu, elle s’est progressivement transformée en loi de limitation de cette expression jadis conquise de haute lutte.
En effet, le CHAPITRE IV de ladite Loi traite « DES CRIMES ET DELITS COMMIS PAR LA VOIE DE LA PRESSE OU PAR TOUT AUTRE MOYEN DE PUBLICATION ».
Il y est notamment visé :
- Paragraphe 1 : la Provocation aux crimes et délits (articles 23 et suivants)
- Paragraphe 2 : les Délits contre la chose publique (articles 26 et suivants)
- Paragraphe 3 : Délits contre les personnes (Article 29 ets.) ;
- Paragraphe 4 : Délits contre les chefs d'Etat et agents diplomatiques étrangers.
- Paragraphe 5 : Publications interdites, immunités de la défense.
C’est le paragraphe 3 que la proposition de loi vise à modifier.
Or, au sein de ce paragraphe, il existe déjà des dispositions protectrices des fonctionnaires de police des délits de presse.
Ainsi, l’article 31 punit déjà d’une amende 45 000 €, la diffamation commise « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition. »
En outre, l’article 35 prévoit que « la vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31.»
L’article 35 bis créée une présomption de mauvaise foi à l’égard de l’auteur de : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire. »
L’article 35 ter punit de 15 000 € d’amende « la diffusion (sans l’accord de l’intéressé) par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire. »
Enfin l’article 35 quater punit de 15 000 € d’amende « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de la reproduction des circonstances d'un crime ou d'un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d'une victime et qu'elle est réalisée sans l'accord de cette dernière. »
Au vu de ce qui précède, on peut constater que les fonctionnaires de police sont déjà protégés dans la Loi sur la liberté de presse contre les délits qui y sont expressément visés.
A ce titre, « la circulation d’images et de propos injurieux à l’encontre de nombreux policiers ou gendarmes » décriée par les députés est déjà sanctionnée dans la loi sur la liberté de presse par le biais de la diffamation, de l’injure ou de la provocation au délit avec des peines conséquentes à savoir 45 000 € d’amende.
Elle peut également être sanctionnée sous le délit d’outrage lorsque les écrits ne sont pas publics.
B. La protection des forces de l’ordre contre l’atteinte à leur autorité : le délit d’outrage
L’article 433-5 du Code pénal prévoit que :
« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.
Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Lorsqu'il est adressé à une personne chargée d'une mission de service public et que les faits ont été commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif, ou, à l'occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement, l'outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Lorsqu'il est commis en réunion, l'outrage prévu au premier alinéa est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, et l'outrage prévu au deuxième alinéa est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
A travers le délit d’outrage les forces de l’ordre disposent de la possibilité d’attraire devant la Justice, toute personne qui commettrait un acte qui porterait atteinte à leur dignité ou à leur fonction.
Il faut rappeler qu’en France, les condamnations pour délits d’outrage sont fréquentes.
Selon la jurisprudence, l'outrage peut résulter de paroles, d'attitudes ou de gestes quelconques, qui ne sont ni grossiers, ni offensants par eux-mêmes, s'ils sont de nature à porter atteinte à l'autorité morale de la personne visée et à diminuer le respect dû à sa fonction (T. corr. Les Sables-d'Olonne, 1er févr. 1951: D. 1951. 180).
Ont ainsi été jugés constitutifs d’outrages policiers :
· des menaces verbales (Crim. 5 mai 1900: DP 1902. 1. 583 ; Crim. 5 juill. 1956: Bull. crim. no 519 ; Crim. 28 mai 1957: Bull. crim. no 452
· Le refus systématique de révéler sa véritable identité à des gendarmes enquêteurs (T. corr. Pontoise, 18 janv. 1961: JCP 1961. II. 12243, note Lamand)
· Des critiques acerbes contenues dans une lettre adressée à un inspecteur de police. (Crim. 2 déc. 1986: Gaz. Pal. 1987. 1. Somm. 202).
· la prévenue qui a rédigé, dans le cadre de la procédure de divorce du plaignant, deux attestations faisant état de l'alcoolisme et de l'incompétence notoire d'un commandant de gendarmerie (Toulouse, 30 janv. 2003: JCP 2003. IV. 2654).
Dans ces conditions, dès lors que les forces de l’ordre sont l’objet d’actes portant atteintes à leur image dans l’exercice de leurs fonctions, qu’elles soient le fait de diffusion ou d’écrits privés, elles disposent déjà de voies de droit en agissant en diffamation ou en outrage contre lesdites personnes.
Ainsi, la proposition de loi apparaît inopportune au regard du dispositif existant.
II. Une proposition incompatible avec le droit de la preuve
A. En matière de preuve d’un fait : admissibilité de tout mode de preuve
Il est admis en droit français que la preuve d’un fait se rapporte par tous moyens.
Ainsi, en matière civile l’article 1358 du Code civil dispose que : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »
En matière délictuelle, l’article 427 du Code de procédure pénale dispose que : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »
Comme déjà évoqué, la loi sur la liberté de presse n’y échappe pas dès lors que l’article 35 précité renvoie aux « voies ordinaires » en ce qui concerne la preuve de la vérité du fait diffamatoire.
Il s’ensuit que la vérité d’un fait, sauf exceptions légales, peut être rapportée par tous moyens y compris donc par vidéogramme.
Or, la proposition de loi vise à interdire la preuve par vidéogramme lorsqu’elle concerne un représentant des forces de l’ordre agissant dans le cadre de ses fonctions en disposant que : « La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes est punie de 15 000 € d’amende et un an d’emprisonnement. »
Une telle disposition irait à l’encontre de la Loi pénale et de la Loi civile.
Elle priverait d’une part, les victimes d’abus des forces de l’ordre du droit de prouver leurs dires, de même qu’elle priverait les forces de l’ordre du droit de rétablir la vérité d’un fait diffamatoire.
Elle aboutirait à faire des forces de l’ordre des « personnes juridiquement non identifiables ou sous X » alors même que les caméras de surveillance identifient les citoyens dans tous les espaces de leur vie publique et que même dans leur vie privée, la prise d’image est devenue la norme.
Cette proposition contra legem est d’autant plus étonnante que dans le cadre de leurs fonctions, les forces de l’ordre bénéficient déjà en matière de preuve d’une protection renforcée.
B. En matière de preuve de violences policières : L’intérêt des preuves par diffusion de vidéogrammes
Comme on l’a vu dans le triste cas de George FLOYD, les pouvoirs dont disposent les forces de l’ordre rendent très difficiles la preuve de violences policières.
En France, les déclarations des victimes sont très souvent contredites par les procès-verbaux de police qui font foi sauf preuve contraire.
Or, cette preuve contraire « ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins » selon l’article 431 du Code de procédure pénale.
En pratique, il ne m’a jamais été donné de trouver au moins « deux témoins » courageux et capables de contredire un procès-verbal de police…encore moins un écrit pouvant le contredire…
Dans ce cadre, où la preuve est très difficile à rapporter contre des fonctionnaires qui sont à la fois enquêteurs et auteurs voire victimes, donc juges et parties, l’on ne saurait se résoudre à limiter les modes de preuves.
Rappelons que le 1er juin 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans son arrêt TAÏS c. France[4], jugé que le décès de Pascal Taïs pendant sa garde à vue constituait une violation du droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ses termes :
« Le Gouvernement défendeur n’a pas fourni d’explication plausible sur l’origine des blessures ayant provoqué le décès de P. Taïs. Elle estime dès lors que sa responsabilité est engagée quant à ce décès. En outre, la Cour considère que l’inertie des policiers face à la détresse physique et morale de l’intéressé et l’absence de surveillance policière effective et médicale ont enfreint l’obligation qu’à l’Etat de protéger la vie des personnes en garde à vue.
Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet substantiel. »
Cette affaire emblématique traduit d’une part, l’existence de violences policières mais aussi les difficultés des autorités françaises à les faire condamner.
Dans un rapport intitulé : « France : Des policiers au-dessus des lois[5] », Amnesty International a pointé les faiblesses de notre système de protection des personnes victimes de violences policières.
On peut notamment citer à l’aune de ce rapport un cas emblématique.
►Le cas de Madame Josiane NGO
Le 17 juillet 2007, en début de soirée, Josiane Ngo, alors enceinte de huit mois, a été interpellée par trois policiers dans le quartier de Château-Rouge, à Paris. Ils lui ont dit qu’elle enfreignait le règlement sur le commerce ambulant, car elle avait disposé des cartons dans la rue. Elle leur a répondu que ce n’était pas le cas et qu’elle ne faisait que livrer des marchandises. Les policiers lui ont demandé ses papiers, mais elle a expliqué qu’elle n’avait pas sa carte de séjour, qui était entre les mains de son compagnon, Souleymane Traoré. Selon le récit fait par Josiane Ngo à Amnesty International, l’un des policiers l’a alors prise par le bras et lui a annoncé qu’ils allaient se rendre au poste de police. Elle lui a demandé de la lâcher et a voulu connaître le motif de son arrestation. L’un des policiers lui a alors donné un coup de poing sur le nez, qui s’est mis à saigner, et l’a poussée, si bien qu’elle est tombée à terre. La scène se déroulait devant une foule rassemblée dans la rue ; plusieurs personnes ont réagi devant la façon dont la police traitait une femme manifestement enceinte. Les policiers ont appelé des renforts. Ceux-ci ont entouré Josiane Ngo, qui était toujours couchée à terre. Le compagnon de Josiane Ngo est arrivé à ce moment. Mais quand il a essayé de remettre la carte de séjour de la jeune femme aux policiers, ces derniers l’ont aspergé de gaz lacrymogène, qui a atteint son fils âgé de trois ans. Josiane Ngo a également respiré du gaz. Les policiers, raconte-t-elle, l’ont forcée à monter dans un car de police en la traînant par les cheveux et l’ont frappée. Un policier se serait assis sur son dos alors qu’elle était allongée sur le sol du véhicule et lui aurait donné des coups de poing sur la tête. Elle ajoute qu'elle a reçu des coups de pieds lorsqu’elle est arrivée au poste de police, où on lui a dit qu’elle serait mise en examen pour outrage. Josiane Ngo a indiqué à Amnesty International qu’elle n’avait pas été autorisée à voir un avocat pendant sa garde à vue, ni à téléphoner. Son compagnon est venu prendre de ses nouvelles et lui apporter ses chaussures (qui étaient restées sur les lieux de son arrestation), mais il rapporte qu'il n'a pas été autorisé à la voir et qu'il n'a obtenu aucune information sur son état. Elle n’a été examinée par un médecin que dans la nuit, à 1 heure du matin. Josiane Ngo a été relâchée par la police le 18 juillet à midi. La procédure engagée contre elle a été classée sans suite. Elle s’est immédiatement rendue dans un hôpital, l’Hôtel-Dieu, pour y consulter un médecin qui lui a accordé dix jours d'incapacité totale temporaire en raison de ses blessures. Le 7 septembre 2007, Josiane Ngo a porté plainte pour mauvais traitements auprès du ministère public. De plus, elle a déposé directement une plainte auprès de l’IGS, et demandé la saisine de la CNDS. En juillet 2008, Amnesty International a appris que le parquet avait classé la plainte sans suite, sans ouvrir d’enquête. La déclaration de Josiane Ngo a été enregistrée sur vidéo par un journaliste du journal français Libération. Elle est disponible à l’adresse : http://indociles.blogs.liberation.fr/laske/2007/07/josiane-raconte.html
Au regard des nombreux cas examinés dans son rapport, Amnesty International souligne en Introduction de son rapport, que :
« Les informations selon lesquelles des responsables de l’application des lois commettraient en France des violations des droits humains inspirent depuis longtemps des inquiétudes persistantes à Amnesty International, qui est également préoccupée par le faible taux de comparution en justice des responsables présumés, faute d’enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces. En 2005, l’organisation a publié à ce sujet un rapport intitulé France : pour une véritable justice (index AI : EUR 21/001/2005), qui s’intéresse à plusieurs cas de graves violations présumées des droits humains commises par des responsables de l’application des lois depuis 1991. (…) L’examen des éléments qui lui étaient soumis a conduit Amnesty International à conclure que les agents de la force publique bénéficiaient couramment, en France, d’une impunité de fait. Dans le rapport, nous avions dégagé plusieurs facteurs qui favorisaient ce climat d’impunité : les lacunes ou les faiblesses de la législation ; l’incapacité ou le manque d’empressement de la police, du ministère public et des tribunaux dès qu’il s’agit de mener des enquêtes exhaustives sur des violations des droits humains impliquant des agents de la force publique et d’en poursuivre les auteurs présumés ; les peines, enfin, sans commune mesure avec la gravité de l’infraction. (…)
En cas d’allégation de violations des droits humains, les autorités doivent ouvrir promptement une enquête exhaustive, indépendante et impartiale. Les mesures disciplinaires qui s’imposent doivent être prises, et les agents de la force publique soupçonnés d’actes tombant sous le coup de la loi doivent comparaître en justice dans le cadre d’un procès équitable. Les autorités doivent veiller à ce que les auteurs d’infractions rendent compte de leurs actes et montrer à la population qu’elles y ont veillé. Autrement, la crédibilité des organes chargés de faire respecter la loi en pâtit, à l’instar des relations de ces organes avec la population. (…)
Malheureusement, les autorités françaises n’ont appliqué aucune des recommandations essentielles qui visaient à lutter contre les violations des droits humains et le climat d’impunité évoqués dans le rapport publié en 2005 par Amnesty International. (…) Au fil de ses recherches, Amnesty International a pris connaissance de nouvelles allégations de violations des droits humains commises en France par des agents de la force publique. Les méthodes utilisées pour enquêter sur ces allégations ne sont toujours pas à la hauteur des normes du droit international, et les habitants de la France s’attendent à mieux. Par ailleurs, Amnesty International constate l’accentuation manifeste d’un phénomène inquiétant : les personnes qui protestent ou tentent d’intervenir lorsqu’elles sont témoins de mauvais traitements infligés par des responsables de l’application des lois sont elles-mêmes accusées d'outrage (insulte envers une personne dépositaire de l'autorité publique) ou de rébellion (résistance avec violence envers un représentant de l’autorité). Dans d’autres cas, des personnes qui se sont plaintes d’avoir subi des mauvais traitements sont accusées de diffamation par les agents concernés. (…) »
En conclusion de ce rapport, Amnesty International propose d’ailleurs la création « d’une commission indépendante chargée des plaintes contre la police, avec des pouvoirs et des moyens plus importants que ceux de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) ».
Or, plutôt que de répondre favorablement à cette interpellation, la France a supprimé la CNDS, dont les compétences ont été reprises par le Défenseur des droits.
Récemment, ce dernier a d’ailleurs demandé la suspension de l’utilisation de lanceur des balles de défense dit « flash Ball »[6].
Au regard du contexte existant de violences policières, on ne saurait dénier aux victimes ou à des tiers le droit de diffuser des vidéos des interventions policières pour rapporter la preuve d’un fait délictuel.
En instituant une « interdiction de diffusion » de l’image des forces de l’ordre, la proposition de loi vise à accroître les prérogatives dont elles disposent déjà dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
CONCLUSION
Le rôle très important des forces de l’ordre dans le maintien de la tranquillité et de la paix publiques en font des personnes indispensables au fonctionnement de la République.
A l’égard des forces de l’ordre, le capitaine et Président Thomas Sankara disait : « Un militaire sans idéologie est un criminel en puissance ».
L’idéologie est ce que l’on pourrait traduite aujourd’hui par la déontologie.
Cette nécessité déontologique a d’ailleurs été relevée par le Président Emmanuel Macron le 14 Janvier 2020[7], lorsqu’il a indiqué :
« J’attends des policiers et des gendarmes la plus grande déontologie. J’ai demandé au Ministre de l’intérieur là-dessus de me faire des propositions très concrètes. Il y a eu très clairement des images, il y a eu des affaires dans lesquelles je ne veux pas me prononcer, elles sont devant la Justice. Des comportements qui ne sont pas acceptables ont été vus ou pointés. Je ne veux pas en faire la majorité du genre, je ne veux pas généraliser. Je ne veux pas que justement ça atteigne la crédibilité et la dignité de ces mêmes professionnels, des forces de sécurité intérieures. Mais pour cela il ne faut avoir aucune complaisance. Je souhaite que le Ministère de l’intérieur puisse me faire dans les meilleurs délais des propositions claires pour améliorer la déontologie des éléments de contrôle et que la justice puisse continuer à travailler sur ces cas. Mais en aucun cas, je ne veux que ce sujet vienne non plus cacher la violence profonde qui existe dans notre société et dont les forces de sécurité intérieure sont les premières victimes. »
Dès lors que les violences commises par les forces de l’ordre sont exacerbées par la pression constante à laquelle ils sont soumis depuis quelques années, avec la recrudescence des mouvements sociaux ; l’on ne peut que s’interroger, à défaut de s’étonner, de cette proposition de loi qui vise à réprimer toute « diffusion de l’image » des forces de l’ordre au nom de leur « sécurité ».
George Floyd est décédé le 25 mai 2020, sous le genou d’un policier américain qui était visiblement insensible à ses cris : « I can’t breathe ! I can’t breathe ![8] ». L’Amérique s’est levée comme un seul homme et a fait tomber le masque d’un « I have a dream » que l’élection de Barack Obama était censée incarner. Le monde a vu que la « vie d’un homme noir » entre les mains « d’un policier blanc » aux Etats-Unis était soumise à l’arbitraire de ce dernier…
Et dès le lendemain, M. Eric CIOTTI et ses compères députés ont eu l’idée de déposer une proposition de loi visant à interdire la diffusion de l’image des forces de l’ordre afin de les « rendre systématiquement non identifiables dans l’ensemble de l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux ».
Or, on sait que si une telle proposition devait être adoptée, elle ne ferait qu’accroître le sentiment d’injustice des victimes de violences policières, en leur faisant perdre toute crédibilité en leur autorité et en la capacité de la justice à trouver les ressorts pour sanctionner leurs dérives.
Plus particulièrement, les communautés étrangères de France ou celles issues de l’immigration ont été pointées par Amnesty International comme étant les plus grandes victimes de ces violences, en ces termes : « si les victimes de mauvais traitements et d’autres violations des droits humains sont aussi bien des hommes que des femmes et sont issues de toutes les tranches d’âge, la grande majorité des plaintes dont l’organisation a eu connaissance concernent des ressortissants étrangers ou des Français appartenant à une minorité dite ‘‘visible’’ ».
Ainsi, en voulant protéger les forces de l’ordre contre des dénonciations médiatiques qui seraient, le cas échéant fausses ou mensongères, cette proposition de loi ne vise qu’à paralyser la preuve de délits qui pourraient être établis par la diffusion de ces images.
Aux députés de la Nation française qui vont plancher sur cette proposition, j’ai envie de poser quelques questions :
1°) Qu’en aurait-il été des poursuites contre le policier qui a supprimé la vie de George FLOYD si cette vidéo n’avait pas été diffusée ? Aurait-on cru dans un Tribunal à la seule parole des témoins ? Aurait-on cru qu’un représentant des forces de l’ordre serait encore capable, en 2020, d’un tel comportement ?
2°) S’il avait existé des smartphones au temps de l’esclavage, de la colonisation ou de la ségrégation raciale, ces systèmes auraient il perduré ? S’il avait existé des vidéos de la découpe des pieds et mains des congolais par les agents de Léopold II de Belgique au Congo ? S’il y avait eu des vidéos du lynchage et de la pendaison des noirs aux Etats-Unis ? du viol, de la torture et de l’humiliation de tant de noir(e)s à travers l’histoire, celle-ci aurait-elle été la même ?
J’ose croire que l’âme humaine peut faire durer et se complaire dans un système profondément injuste tant qu’il se « voile la face », mais lorsque ses yeux voient la cruauté de l’injustice, et que des yeux de milliers voire de millions d’autres personnes le voient également, il est impossible de maintenir ouvertement une injustice.
Oui au respect de l’immense travail abattu chaque jour par des forces de l’ordre, constamment mises sous pression, non à l’arbitraire que constituerait l’asphaltage de la preuve de leurs fautes, car nul n’est faillible.
Leur crédibilité est à ce prix, leur sécurité et la nôtre également car, pour que l’ordre règne il faut qu’il soit juste.
[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/30/george-floyd-le-doux-geant-tue-par-la-police-americaine_6041287_3210.html [2] M. Gérard Cherpion, Mme Geneviève Levy, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Bernard Reynès, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Louis Masson, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Le Fur, M. Ian Boucard, Mme Annie Genevard, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Valérie Boyer, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Gérard Menuel, M. Raphaël Schellenberger, M. Olivier Dassault, M. Olivier Marleix, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Tabarot, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Vialay, M. Thibault Bazin, M. Patrick Hetzel, M. Jean-Marie Sermier, M. Gilles Lurton, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Door, M. Julien Aube [3] https://nvo.fr/violences-policieres-comment-en-est-on-arrive-la/ [4] https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-75556%22]} [5] https://www.amnesty.org/download/Documents/EUR210032009FRENCH.PDF [6] https://www.20minutes.fr/societe/2427407-20190117-violences-policieres-defenseur-droits-demande-suspension-lanceurs-balle-defense [7] https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/emmanuel-macron-attend-des-policiers-et-des-gendarmes-la-plus-grande-deontologie-1214852.html [8] « Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas respirer ! »
Comments