L’APPLICATION STOP-COVID : ENTRE LIBERTES INDIVIDUELLES ET INTERET PUBLIC
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 1 mai 2020
- 5 min de lecture
Depuis le 20 mars 2020, la France vit une nouvelle page de son histoire : l’Etat d’urgence.
Cet état déclaré par le Président Emmanuel MACRON après son discours du 16 mars 2020 trouve son fondement dans la lutte contre la pandémie du COVID-19, cet ennemi invisible. Emmanuel MACRON l’a d’ailleurs rappelé en ces termes : « NOUS SOMMES EN GUERRE ! ».
Oui ! Nous sommes en guerre. Et pour cela, des mesures sont nécessaires pour protéger le peuple français.
On pourrait donc logiquement croire que toutes les ordonnances prises les unes après les autres depuis le 20 mars 2020 participent à la protection des populations.
Si l’intention est louable, les efforts devant se conjuguer et venir tant de l’Etat que du peuple, il est cependant opportun de s’interroger sur la pertinence des mesures prises ou proposées.
C’est le cas de l’application STOP-COVID que le gouvernement prévoit d’utiliser à l’effet de contenir la propagation du COVID-19 et ainsi remporter cette guerre sanitaire.
En effet, pour minimiser les risques de contamination et de décès en série, plusieurs projets ont été mis en place, pour combattre la propagation du COVID-19 : le port de masques, le confinement, les sorties limitées et conformes à des conditions bien spécifiques, les dépistages, etc.
Une nouvelle mesure semble être sur la table des discussions : combattre la propagation du COVID-19 via les smartphones.
Le principe semble simple : développer une application permettant aux téléphones de communiquer entre eux, de manière anonyme, afin de permettre à toutes les personnes ayant croisé un cas positif, d’être alertées.
En effet, cette application permettrait de mieux tracer la circulation du nouveau coronavirus et les contacts entre les personnes infectées par le COVID-19 et les autres individus, afin d’endiguer sa propagation. Ainsi, ce système s’appuierait sur nos téléphones portables qui, via Bluetooth, offrent la possibilité de suivre nos contacts avec d’autres personnes, potentiellement porteuses du virus, et d’envoyer l’alerte en guise d’information.
Peut-on dire, au regard des mécanismes de fonctionnement de cette application, que l’Etat protège réellement le peuple ? Avec l’utilisation de l’application STOP-COVID, les libertés sont-elles encore protégées, notamment le droit à la vie privée ? Sommes-nous réellement libres ?
« Une société de liberté est une société où vous êtes libre d'être impopulaire sans pour autant que votre vie soit en danger ».
Cette citation de Adlaï Stevenson exprime bien l’idée de liberté et du contrat social tel que défini par Jean Jacques ROUSSEAU.
Par le contrat social, les hommes ont choisi de se défaire de leurs libertés naturelles pour se mettre ensemble sous une autorité légitime. Dans son œuvre « Du contrat social », Jean Jacques Rousseau établit qu’une organisation sociale « juste » repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre tous les citoyens. Dans ce pacte social, chaque citoyen renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile ; d’où la souveraineté populaire.
Le peuple est-il encore souverain lorsque vit dans l’Etat d’urgence ?
On est tenté de répondre par la négative, tant l’Etat à travers son gouvernement impose des mesures tous azimuts sans tenir réellement compte de l’avis du peuple « souverain », ce qui a d’ailleurs poussé certains penseurs à qualifier le Conseil d’Etat de « Conseil de l’Etat ».
Il y a d’abord eu la loi N° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19 (1), ensuite ont suivi 26 ordonnances et enfin 34 décrets.
Le 28 avril 2020, le Premier Ministre Edouard PHILIPPE présentait aux élus de la nation le plan de déconfinement qui débuterait le 11 mai 2020. Dans ce plan de déconfinement, l’application STOP-COVID bien qu’embryonnaire a été évoquée.
Selon ses explications, cette application devrait retracer l’historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée. En d’autres termes, lorsque vous êtes en contact avec une personne pendant au moins 30 minutes, votre téléphone enregistre son numéro. Et si dans les jours suivants vous êtes testé positif, un message sera envoyé à ce numéro de téléphone de manière à inciter son propriétaire à se faire dépister et à se confiner.
Les experts rassurent que cette méthode de traçage garantit l’anonymat car vous n’êtes pas géolocalisé. Curieusement, vos fréquentations sont enregistrées donc suivies.
Ne s’agit-il pas là d’une forme d’espionnage, et donc de violation de vie privée ? Quid de la garantie du secret médical ou même du contrôle du confinement dès lors que vos données sont enregistrées et peuvent se retrouver sur la place publique ?
Le droit au respect de la vie privée est consacré à l’article 9 du code civil et se trouve également mentionné aux articles 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et 7 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Ce droit fournit non seulement une protection contre une intrusion dans l’intimité des personnes, qu’elle soit le fait de l’État ou des tiers, mais aussi une garantie de l’épanouissement de l’individu dans la sphère intime, à l’abri du regard de l’État et de la société, que le développement des techniques, de la science, de l’informatique, de la presse, de l’Internet, et des moyens de communication menace chaque jour davantage. Ainsi conçue, la vie privée est étroitement liée au domicile, à la correspondance, aux relations intimes, dont il faut préserver le secret[1].
Le conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu la constitutionnalité du droit au respect de la vie privée[2] qui est consacré par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
D’ailleurs l’Union Européenne est très regardante sur les libertés individuelles lorsqu’elle déclare que : « recueillir des données sur les déplacements d'un individu dans le cadre d'une application de traçage des contacts violerait le principe de la minimisation des données collectées et poserait des problèmes majeurs de sécurité et de respect de la vie privée ».
Si d’aventure l’application STOP-COVID garantit la sécurité des données personnelles collectées, elle viole cependant le principe du respect de la vie privée pourtant consacré par la constitution et les conventions internationales et européenne ratifiées.
L’utilisation de cette application s’apparenterait alors à la mise en liberté conditionnelle du peuple. Autant mieux dès lors nous placer des puces ou bracelets électroniques et nous tracer comme des potentiels accusés d’un crime.
Comme les autres mesures prises par le gouvernement pour contrer le COVID-19, la mesure relative à l’utilisation de l’application STOP-COVID par le gouvernement français violera manifestement les droits et libertés des citoyens.
On comprend que pour faire face à la crise économique qui s’annonce, et vu l’impossibilité de rester indéfiniment confinés (aucun vaccin n’ayant encore été trouvé) le gouvernement n’a d’autre choix que d’inciter les populations à reprendre le cours normal de leur vie, tout en mettant en œuvre des solutions efficaces pour faire face à toutes les éventualités à venir.
Cependant, cette nécessité de reprise du cours normal de la vie politique, sociale et surtout économique ne doit pas mettre en péril les libertés du peuple.
Entre libertés individuelles et intérêt public, il faudra nécessairement trouver le juste milieu pour un équilibre durable.
Sinon, on aboutira malheureusement à la conclusion selon laquelle : « Tant que l’Etat existe, pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’Etat[3] ».
[1] Vincent MAZEAUD, « La constitutionnalisation du droit au respect de la vie privée », Nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel N°48 (Dossier : Vie privée), Juin 2015, P.7,https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-constitutionnalisation-du-droit-au-respect-de-la-vie-privee (Consulté le 29/4/2020). [2]Cons. const., 18 janv. 1995, n° 94-352 DC, cons. 3 ; rappr. 22 avr. 1997, n° 97-389 DC, cons. 44; Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693, cons. 10. [3]LENINE Llitch Vladimir in "L’Etat et la Révolution’’, Editions en langues étrangères, Moscou,1967, 155 P. http://classiques.uqac.ca/classiques/lenine/Etat_et_revolution/lenine_Etat_et_revolution.pdf (consulté le 29 avril 2020).
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