L’ETAT D’URGENCE A L’ERE DU COVID-19 AU CONGO : UN ETAT SANS JUSTICE ?
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 8 mai 2020
- 6 min de lecture
Depuis décembre dernier le monde est en proie à un virus virulent qui n’épargne aucun continent. Aujourd’hui ce virus, connu même des plus petits, a déjà atteint des milliers de citoyens du monde. Les princes, les premiers ministres et bien d’autres personnalités y succombent sans aucune distinction, rappelant à chacun que nous sommes tous égaux devant la maladie.
Mais que dire de l’Afrique ?
L’Afrique résiste dises certains ; même si, en réalité, cette situation a déjà mis à nu les insuffisances de son système sanitaire, malgré le nombre résiduel de décès, comme c’est le cas au Congo.
Cette pandémie laisse aussi découvrir l’extrême pauvreté des Etats africains, en dépit de la solidarité affichée qui en réalité ne touche, malgré toute la bonne volonté des dirigeants, qu’une infime partie des populations.
L’Afrique est, enfin, en proie « (…) à la mise en suspension de l’Etat de droit : les principes constitutionnels (..), les mécanismes et exigences du contrôle juridictionnel sont [ainsi] mis à l’écart[1] » au rythme des déclarations de l’état d’urgence. En effet, d’une ville à une autre du continent, les palais de justice sont fermés les uns après les autres et les audiences renvoyées en bloc.
Le système judiciaire congolais qui n’échappe pas à ce constat général semble ainsi arrêté depuis le 28 mars 2020 à la suite du décret n°2020 du 30 mars 2020, déclarant l’état d’urgence sanitaire sur toute l’étendue du territoire national. Il subsiste néanmoins au Congo un ilot de justice, qu’il faut admettre malgré le covid-19 (I). Seulement, même en période de paix, l’organisation qui découle de cette bonne volonté pose problème (II).
I. La volonté affichée de maintenir, même à minima, la justice malgré le covid-19
L’état d’urgence sanitaire décrété au Congo a conduit à la suspension des audiences publiques pour toutes les procédures au fond (civile, administrative, commerciale, pénale etc..) Et ce, pour une période de 15 jours reconductible tacitement en cas de besoin, c’est-à-dire… selon l’humeur de la pandémie du corona ?
Toutefois dans le souci de maintenir la continuité du service public de la justice, même a minima à l’ère du covid-19, il a été décidé d’adapter son fonctionnement.
En matière pénale, la note circulaire n° 0392 du ministre de la justice indique que les parquets près les tribunaux de grande instance continuent à recevoir les déférés et à traiter leurs dossiers. Le ministère public continue ainsi à jouer son rôle de garant de l’ordre public, tant bien que mal.
Toutefois, les agents des forces de l’ordre préfèrent, mille fois, régler maintenant par eux-mêmes les affaires plutôt que de se référer au parquet. L’état d’urgence est une aubaine pour eux de narguer magistrats et autres auxiliaires de justice. Ils se sentent ainsi libres d’agir ainsi, en l’absence de sanction, car comme disait Jean louis Auguste Commerson : « Je ne sais vraiment pas quelle force peut avoir la justice, elle ne m’a jamais frappé[2] »
Les magistrats du parquet sont pourtant invités à continuer, à renouveler au besoin, ou à lever les mesures de garde à vue et à traiter leurs dossiers d’enquête préliminaire même sans déférés. Toutefois, en raison de la suspension des audiences publiques considérées comme propice à la propagation du covid-19, ces magistrats ne peuvent fixer de date pour l’audience de jugement. Dès lors, cette innovation pose problème, en ce sens qu’il ne saurait y avoir de justice sans procès.
Lesdits magistrats sont aussi tenus systématiquement d’ouvrir une information judiciaire pour les affaires comportant des déférés. Cette situation qui risque fort bien d’engorger davantage les cabinets d’instruction peut également avoir des répercussions sur la population carcérale. Les cabinets d’instruction à leur tour continuent aussi, dans le strict respect des consignes sanitaires, à instruire leurs affaires et se prononcer sur le maintien ou la levée des mesures de détentions préventives.
Pour les autres matières, cette même note circulaire tend a prôné le recours au juge de l’urgence encore appelé juge des référés. Cette procédure qui apporte une réponse rapide au problème des justiciables est réservée par principe à la compétence des présidents de juridictions (tribunal d’instance, tribunal de commerce, tribunal administratif et tribunal de grande instance).
L’article 207 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière congolais dispose que : « Dans tous les cas où il y a urgence, péril en la demeure, ou difficulté sérieuse d’exécution d’un arrêt, d’un jugement ou tout autre titre exécutoire, le Président de la juridiction compétente, peut ordonner en référé toute mesure provisoire ne préjudiciant pas au fond du litige ».
Et l’article 212 du même code prévoit que « le Président doit statuer sous huitaine à compter du jour de la présentation de la requête ». En cas d’extrême urgence, l’article 210 dudit code énonce que l’affaire peut être jugée même un jour férié. Toutefois, les présidents de juridiction peuvent déléguer cette attribution.
Mais il faut dire qu’au Congo « le référé » reste la chasse gardée des Présidents de juridiction. Ainsi malgré la charge du travail, le nombre de dossiers en référé et ajouter à cela d’autres attribution présidentielles, les présidents juridictions ne délèguent que très peu. Au demeurant, en cette période du Covid-19, les audiences d’urgences doivent se poursuivent, en matière civile et commerciale uniquement, et se tenir à huis clos indique la circulaire. A cet effet, il est précisé que ces audiences se tiendront deux fois par semaine et que les affaires à enrôlées ne doivent pas dépasser quinze dossiers.
II. Une volonté malgré tout qui pose problème, même-si le Covid-19 passera
Depuis son indépendance en 1960, le Congo n’a connu qu’une fois l’état d’urgence en 1993 mais pas contre un ennemi invisible. S’il est vrai que ce Covid passera, il est évident qu’après une guerre, la vie change, qu’elle soit privée ou professionnelle. C’est pourquoi une adaptation dans le fonctionnement des services publics de la justice est nécessaire et surtout utile à la sortie de cette crise.
Un adage très populaire, auquel nous souscrivons, nous enseigne d’ailleurs « Qu’à quelque chose, malheureuse est bon ». La vie étant faite de haut et de bas et de souffrances comme nous l’indique Arthur Schopenhauer, il nous appartient de tirer profit de cette crise. Partant de cette assertion, il nous semble d’une grande importance de réfléchir sur le fonctionnement même a minima de la justice.
En effet, depuis l’avènement du Coronavirus et la déclaration de l’état d’urgence, la justice pénale au Congo fonctionne désormais sans « ses juges » et donc sans procès. Or, quand on parle de justice, on pense procès et juge. Les juges et autres auxiliaires de justice sont en effet confinés chez eux., alors que le Parquet continue à travailler.
Ainsi, le bras séculier de la chaine pénale, le parquet, est aujourd’hui séparé de son noyau dur qui est la formation de jugement. Il y a lieu de constater à cet effet que le procureur de la République est devenu le « roi » et le juge d’instruction encore plus « puissant » que jamais. La procédure de flagrance, suite à ces adaptations nécessaires à la lutte contre la propagation de l’épidémie, a perdu de sa substance, vu que les audiences au fond sont suspendues même en matière pénale. Et même qu’en cette matière la pilule est plus amère surtout de voir des affaires avec détenus suspendues. Cette catégorie de justiciable devrait, dans le respect des mesures barrières, bénéficier d’un régime spécial en particulier pour traiter de leur situation carcérale. Il nous semble que c’est aussi une urgence.
Il faut aussi réfléchir, plus particulièrement, à l’exercice efficient des fonctions de présidents de juridiction. Sous d’autres cieux, par exemple, le juge de l’urgence fait généralement recours à la délégation pour ne pas être submergé par le travail et ainsi ralentir la justice.
Face à une demande de justice en constante augmentation et des procédures de plus en plus complexes dans certains pays[3] les présidents de juridictions ont aussi la faculté de renvoyer l’affaire devant une formation collégiale de sa juridiction. Dans ce cas, la formation collégiale statue dans les mêmes formes et conditions que le juge unique. Sans être exhaustive, cette réflexion tend à aller au-delà des déclarations d’intention pour dépeindre la réalité du fonctionnement de la justice à l’ère du Covid-19 et invite aussi les autres à lui emboiter le pas.
Conclusion
Prévu par l’article 157 de la Constitution du 25 octobre 2015, l’état d’urgence décrété au Congo pour des motifs sanitaire évident met à mal le fonctionnement régulier du service public de la justice. Et pourtant, tous sont d’accord et affirment sans ambages que le service public de la justice est consubstantiel à l’état de droit et à l’ordre public. Il est essentiel à la vie de la nation et ne serait, par principe et pour rien au monde, être mis à l’écart. « La justice est [en outre] le pain du peuple, il est toujours affamé d’elle[4]. »
Seulement, l’état d’urgence décrété dans le cadre de la lutte contre le covid-19 bat en brèche cette assertion. L’état d’urgence n’est donc pas une chose banale. C’est « un état vide de droits »[5], qui sans une justice, même a minima tel que c’est prévu, favorisera à coup sûr des atteintes graves aux libertés publiques.
Il faut éviter que l’état d’urgence aboutisse, suivant la formule de Dominique Rousseau : à « une permanence des régimes d'exception[6]».
[1] Dominique Rousseau, l’état d’urgence, un état vide de droit(s), revue projet 2006/2, n°291, p.19. [2] Jean louis Auguste Commerson, La petite encyclopédie bouffonne (1860) [3] Comme le Bénin par exemple [4] François Réné de Châteaubriand, les pensées, réflexion et maximes (1848). [5] Expression utilisé par Dominique Rousseau, op., cit. [6] https://www.lepoint.fr/societe/dominique-rousseau-attention-a-ne-pas-multiplier-les-etats-d-urgence-20-03-2020-2368064_23.php#
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