L’EXÉCUTION DES CONTRATS EN PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE MONDIALE
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 10 avr. 2020
- 7 min de lecture
Depuis la survenance de la crise sanitaire COVID-19, les projecteurs sont braqués sur le personnel médical premier guerrier au front, dans l’espoir qu’il trouve la panacée miracle pour stopper cette crise. En outre, les dirigeants du monde qui sont en quête de solutions urgentes et efficaces pour la résorber, mettent en place, avec leurs gouvernements, des mesures plus ou moins urgentes pour maintenir un semblant d’équilibre de tous les secteurs d’activité et assurer la continuité du service public.
Si des solutions sont trouvées ou proposées pour apporter un soutien non moins négligeable au secteur privé professionnel (survie des entreprises parapubliques ou privées, préservation des relations contractuelles Employeur-employé, etc.), le domaine de l’exécution des contrats semble faire l’objet de peu de préoccupation.
Le monde des affaires est le terrain par excellence de l’exécution des contrats. Et qui dit contrat, dit obligations des parties. Face à la pandémie actuelle, est-il possible pour des parties cocontractantes de poursuivre normalement l’exécution de leur contrat ?
Au regard de l’actualité, il est évident que le monde des affaires est en proie à des difficultés d’exécution des contrats liées à la crise sanitaire. Doit-on dès lors suspendre ceux-ci tout simplement et attendre que cette pandémie du COVID-19 passe ? Quels mécanismes peut-on mettre en marche pour éviter de se retrouver dans de sales draps ?
On serait tenté de croire que la solution est toute simple : l’invocation de la force majeure qui est le premier mécanisme auquel on envisage de recourir pour décider du sort d’un contrat (soit le poursuivre, soit le suspendre ou y mettre un terme) et déterminer les responsabilités.
C’est presque devenu un réflexe : l’insertion d’une clause sur la force majeure pendant la rédaction d’un contrat. Mais qu’est-ce que la force majeure ?
La notion de force majeure, qui figure dans presque tous les codes civils, s’entend de la réunion de trois critères à savoir :
- L’imprévisibilité;
- L’extériorité;
- L’irrésistibilité.
La force majeure en droit privé peut donc être définie comme « la circonstance exceptionnelle, étrangère à la personne de celui qui l’éprouve, qui a eu pour résultat de l’empêcher d’exécuter les prestations qu’il devait à son créancier[1] ». Le dictionnaire juridique DALLOZ la définit comme « l’événement imprévisible et insurmontable empêchant le débiteur d’exécuter son obligation[2] ». Cette deuxième définition, qui n’est pas universelle ; les conceptions de la force majeure variant d’un système juridique à un autre ; épouse la conception du droit civil français et de l’OHADA de la notion de force majeure.
En effet, l’article 1218 alinéa 1 du code civil français dispose « qu’il il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur[3] ».
Aussi, l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général[4] dispose que : « une partie n'est pas responsable de l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté, tel que notamment le fait d'un tiers ou un cas de force majeure. Constitue un cas de force majeure tout empêchement indépendant de la volonté et que l'on ne peut raisonnablement prévoir dans sa survenance ou dans ses conséquences. »
Mais comment fonctionne la force majeure dans un contrat?
S’il est vrai que la force majeure est un levier de protection en cas d’inexécution d’un contrat du fait d’une épidémie par exemple, le seul fait de constater cette épidémie cependant ne rend pas applicable la force majeure.
Il faudrait dès lors que le débiteur de l’obligation qui l’invoque puisse établir que les conséquences de la pandémie rendent impossible toute exécution du contrat. En d’autres termes, il devra démontrer en quoi les conséquences du fait ou de l’événement qu’il invoque comme force majeure l’empêchent de remplir ses obligations contractuelles[5].
Ainsi, il ne suffit pas de se contenter d’insérer dans son contrat une clause de force majeure, encore faudrait-il en maîtriser les mécanismes d’application dès lors qu’elle n’est pas d’ordre public.
C’est d’ailleurs ce qu’a relevé la CCJA[6] dans son arrêt N° 126/2015 du 29/10/2015[7] en ces termes : « qu’en outre, si la force majeure constitue effectivement l’une des causes exonératoires de responsabilité au sens de l’article 1148 du Code civil (camerounais) , il appartient à la partie qui l’invoque, d’une part, d’administrer la preuve de son existence et d’autre part, de démontrer en quoi elle aura rendu l’exécution de l’obligation impossible ; que l’appelante n’ayant pas fait ces démonstrations devant les premiers juges, ceux- ci ont donc à bon droit écarté le moyen considéré. ».
Il faut également vérifier le contenu de la clause de force majeure d’où l’importance de sa rédaction. Il faut noter que la clause de force majeure peut être limitative dans son contenu (c’est à dire qu’elle précise les événements constitutifs de la force majeure) ou simplement générale. Le danger réside justement dans la rédaction de cette clause qui, si elle est mal structurée et imprécise, peut conduire à un vide ou une difficulté d’interprétation.
Il est dès lors recommandé de consacrer une attention particulière à la rédaction de cette clause pour dégager les responsabilités de chaque partie et les conséquences de la force majeure sur la survie de leur contrat.
Selon l’adage juridique « ad impossibile nemo tenetur », la force majeure opère d’office. Cependant il faut bien relever les hypothèses de son application et les implications de celles-ci sur l’exécution d’un contrat :
Hypothèse 1 : exclusion de la force majeure d’un contrat
Lorsque la force majeure est expressément exclue d’un contrat (ce qui est possible), la partie qui y renonce ne peut plus s’en prévaloir à la survenance d’un événement imprévu pour échapper à ses obligations contractuelles.
Hypothèse 2 : la clause de force majeure ne prévoit pas spécifiquement la pandémie comme cas de force majeure
Lorsque la clause de force majeure ne prévoit pas expressément une pandémie comme un cas de force majeure, les parties peuvent la rajouter par un avenant et en prévoir les conséquences y relatives.
Hypothèse 3 : Lorsque la clause de force majeure n’est pas du tout mentionnée dans un contrat
La force majeure fait normalement partie intégrante de tous les contrats. Cependant, le fait de ne pas l’avoir prévue dans le contrat n’emporte pas automatiquement l’impossibilité de son invocation par le débiteur de l’obligation.
En effet, si le contrat a été conclu avant la survenance de la pandémie (chose que les parties ne pouvaient raisonnablement prévoir et ne peuvent raisonnablement surmonter) le débiteur de l’obligation contractuelle peut l’invoquer pour se voir exonérer de celle-ci. Il faudra dès lors qu’il démontre que les conséquences de la pandémie rendent impossible l’exécution de son obligation, faute de quoi il ne pourra bénéficier des conséquences de celles-ci sur ses obligations contractuelles et peut se voir condamner au paiement de dommages-intérêts à son créancier[8].
Par contre, si le contrat a été conclu après la survenance de la pandémie, le débiteur ne peut se prévaloir de la survenance de celle-ci pour s’exonérer de ses obligations contractuelles.
En outre, il faut noter qu’il existe des obligations qui ne peuvent être suspendues du fait de la pandémie. C’est le cas de l’obligation de payer, la force majeure n’étant pas exonératoire de l’obligation de payer, sauf pour le débiteur à prouver que le paiement dépend d’une activité, partie intégrante du contrat, qui ne peut être exécutée du fait des conséquences de la force majeure (Exemple : impossibilité de poursuivre son activité du fait du confinement)
Comment déclencher le mécanisme de la force majeure ?
En principe, la clause de force majeure, lorsqu’elle existe dans un contrat, prévoit le mécanisme de son déclenchement.
Lorsque par contre ce mécanisme n’est pas prévu, il est recommandé de notifier à l’autre partie dès la survenance du cas de force majeure. Cela suppose de le notifier dès qu’on peut raisonnablement penser qu’on se trouve ou qu’on va se trouver en situation d’inexécution contractuelle en raison des circonstances actuelles.
Même si la loi et/ou le contrat ne prévoi(en)t pas le mode de mise en marche de la force majeure, le débiteur de l’obligation doit agir de bonne foi et utiliser tous les moyens possibles pour notifier ce cas de force majeure à son créancier faute de quoi, la force majeure ne peut avoir effet sur le contrat c’est à dire suspendre son exécution, sa révision ou sa résiliation.
Lorsque la force majeure est déclenchée, quelles en sont les conséquences ou effets ?
Conséquences ou effets des cas de force majeure sur les contrats
L’une des premières conséquences de la force majeure c’est l’exonération de la responsabilité du débiteur de l’obligation s’il est défaillant.
La seconde conséquence est la suspension de l’exécution du contrat ou son report à une date ultérieure après la cessation de la force majeure, ou tout simplement la suspension des effets du contrat.
Dans l’hypothèse où la force majeure persiste, le contrat peut tout simplement être résilié suivant la volonté des parties qui peuvent également privilégier la négociation de nouveaux termes à la résiliation du contrat.
Dans tous les cas, face à une épidémie telle le COVID-19, les parties à un contrat peuvent invoquer la force majeure pour se libérer de leurs obligations contractuelles. Mais face à ses spécificités qui créent confusion et divisent la doctrine quant à ses éléments constitutifs, on a tendance à faire recours à l’imprévision qui semble facile à mettre en application.
Mais entre force majeure et imprévision que choisir ? Il s’agit là d’un tout autre débat.
En attendant de s’y pencher pour y voir plus clair,
Confinement vôtre.
[1] Dictionnaire juridique de Serge BRAUDO, https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/force-majeure.php (consulté le 7/4/2020) [2] https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000491 (consulté le 7/4/2020) [3] Article 1218 alinéa 1er du code civil issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004939&categorieLien=id (consulté le 7/4/2020) [4] Article 294 de l’AUDCG. [5] CA Basse-Terre, 1re ch., 17 déc. 2018, n° 17/00739. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Basse-Terre/2018/C7C3F833356E1904494E4 (consulté le 7/4/2020) [6] Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, juridiction suprême de recours en matière commerciale des 1è Etats-membres de l’OHADA [7] OHADA, Cour commune de justice et d'arbitrage, 29 octobre 2015, 126/2015, https://juricaf.org/arret/OHADA-COURCOMMUNEDEJUSTICEETDARBITRAGE-20151029-1262015 (consulté le 7/4/2020) [8] Jugement n° 101/2005, Michel S. SANOU Syndics liquidateurs de la SOREMIB c/ La société OSCAR Industries LTD International (Headquarier Company). Ohadata J-07-232
Le droit de retrait est la faculté donné au salarié de cesser son travail si celui-ci présente un danger grave et imminent. Comme dans tous les contrats, le travailleur est tenu d'exécuter sa part d'obligation. Cependant, cette execution peut être rendue impossible du fait d'un cas de force majeure (prévu ou pas dans le contrat). La force majeure qui est une cause de rupture du contrat de travail selon les cas ( leur appreciation relevant des juges de fond, et tout dependant du type de contrat de travail et des hypothèses évoquées) peut être source d'exercice du droit de retrait . Ainsi, en cas de force majeure comme la pandémie de COVID-19, le travailleur peut exercer son droit de retrait. Si le travailleur (cas d…
Intéressant et très actuel. Est-il possible d'avoir un éclairage sur le rapport entre la force majeure dans l'exécution des contrats en cette période de pandémie et le droit de retrait du travailleur dans certains secteurs d'activité ?
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