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LA JUSTICE SANS PLAIDOIRIES EST-ELLE UNE FORME DE JUSTICE ?

  • Photo du rédacteur: Jacques-Brice MOMNOUGUI
    Jacques-Brice MOMNOUGUI
  • 17 avr. 2020
  • 7 min de lecture


Mesdames et Messieurs les jurés,

Honorables membres de la Cour,

Suivant ordonnance N° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, l’Etat français, garant de ma liberté et du respect de mes droits, vient de décider de ma condamnation sans jugement.

Oui ! Je suis condamné !

Condamné sans avoir été entendu, sans avoir pu bénéficier d’une défense, sans avoir pu opposer aux réquisitions du Procureur ma plaidoirie.

Oui ! Je suis condamné !

Condamné par vous.

Vous vous demandez certainement pourquoi cette accusation !!! Eh beh ! Je vous retourne la question. Pourquoi me condamnez-vous sans m’avoir entendu, sans m’avoir donné la chance de me défendre, sans toutefois avoir reçu et apprécié les preuves de toutes les parties au procès ?

Oui ! Je suis condamné !

Condamné par ces élus de la nation qui en ont décidé ainsi, au moment où ils validaient cette ordonnance prise en continuité de la loi N° 2020-290 du 23 mars 2020 dite d’état d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19.

En effet, cette loi a donné la possibilité à l’exécutif de déroger par voie de décrets, ordonnances ou circulaires à nos libertés fondamentales, à mes libertés fondamentales.

L’ordonnance N° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sacralise la banalisation de nos libertés fondamentales et concrétise ma condamnation sans jugement, car me juger c’est aussi écouter ma plaidoirie.

Vous me direz certainement : pourquoi des audiences ordinaires comme à l’accoutumée alors que nous consentons tous à des sacrifices pour éradiquer la pandémie et sauver ainsi le monde peuple français ? Je vous répondrais simplement que je jouis de la présomption d’innocence telle qu’énoncée au point 3 de l’article préliminaire du code de procédure pénale en ces termes : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ».

D’ailleurs, la procédure pénale doit être, conformément au point 1 de l’article préliminaire du code sus visé, équitable, contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties.

Comment est-il donc possible que ce sacro-saint principe d’équité et du contradictoire soit ainsi balayé du revers de la main par l’article 5 de cette fameuse ordonnance N° 2020-303 du 25 mars 2020 sans que cela n’offusque aucun d’entre vous ? Est-ce parce que vous êtes où vous êtes et moi sur le banc des accusés ?

Comment pourrai-je être efficacement et raisonnablement défendu si mon conseil se trouve à mille lieux de moi, vous à une autre extrémité pendant que moi je croupis dans mon cachot ?

Oui ! Vous avez décidé que désormais c’est par un moyen de télécommunication audiovisuelle que je serai jugé.

Oui ! Vous avez d’ailleurs décidé qu’en l’absence de ce moyen matériel, je serai entendu au détour d’une conversation électronique ou téléphonique.

Je vous prends à témoins, et le monde entier avec, de votre fourberie dissimulée dans ce fameux article 5 qui dispose que : « Par dérogation à l'article 706-71 du code de procédure pénale, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties.

En cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut décider d'utiliser tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s'assurer de la qualité de la transmission, de l'identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Le juge s'assure à tout instant du bon déroulement des débats et le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

Dans les cas prévus au présent article, le juge organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats. ».

Les dispositions de l’article 5 sus visé sont en réalité la matérialisation de l’esprit de l’article 11 al.2 c de la Loi N° 2020-290 du 23 mars 2020 dite d’état d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 qui dispose que : « Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances …Afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure … Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions … ».

Si ces mesures semblent raisonnables au premier degré (notamment si l’on se trouve en matière civile), elles sont dépourvues de bon sens et d’équité lorsqu’elles sont appliquées au procès pénal.

Le procès par essence contradictoire et public, désigne l'ensemble des formalités nécessaires à l'aboutissement d'une demande faite par une personne qui entend faire valoir en Justice, un droit dont la reconnaissance fera l'objet d'une ordonnance, d'un jugement ou d'un arrêt. Il est donc l’ensemble des formalités judiciaires qui sont engagées pour obtenir une décision finale[1]. L’une des phases non moins essentielles du procès pénal est la phase des réquisitions et plaidoiries après que des débats contradictoires aient été savamment menés.

Pendant le procès pénal, le juge arbitre les débats comme dans un match de football et peut d’ailleurs participer activement à ceux-ci en posant des questions dans le but de la manifestation de la vérité. Et à la clôture de ceux-ci, il passe la parole au Ministère public pour ses réquisitions finales et ensuite à l’accusé pour ses plaidoiries par la voix de son conseil.

La beauté et la vigueur de ce moment résident dans la solennité et la communication tant visuelle, gestuelle que vocale des plaideurs.

Oui ! Pendant les plaidoiries, l’accusé par le biais de son conseil exprime son ressenti, raconte son histoire et confronte les faits au droit ; tout ceci dans un moment de pure communion.

Mesdames et Messieurs les jurés,

Honorables membres de la Cour,

Comment ceci est-il possible en mode télécommunication audiovisuelle, électronique ou téléphonique ? Comment est-il possible de capter votre attention par ma gestuelle, mon regard et mes mots si vous êtes à l’autre bout du fil, ou me regardant derrière un écran ?

Comment m’est-il possible d’être fusionnel avec mon avocat qui se trouve si loin de moi physiquement, vocalement ?

Comment la justice peut-elle être rendue sans jugement c’est à dire sans mes plaidoiries qui participent à une approche assez objective de la question de droit posée ?

Voulez-vous me faire croire que la législation, mais encore la pratique des juristes, s'apprécient désormais à l'aune d'un seul critère : l’efficacité ?

En réalité, vous avez décidé qu’aujourd'hui, l'efficacité des mesures prises (ralentir la propagation du virus) l'emporte sur d'autres considérations (dont les libertés et mes droits fondamentaux).

Au regard de toutes ces mesures prises par vous dans cette fameuse ordonnance du 25 mars 2020, ne suis-je donc pas en droit de craindre - tout en espérant le contraire - que cette nouvelle forme de justice qui viole allègrement les principes du contradictoire et la publicité des débats, déjà atteints dans l’air du temps, ne survive à cette pandémie ? Ne suis-je donc pas en droit de craindre que cette nouvelle forme de justice soit la préfiguration de la procédure pénale de demain ?

Il n'est de vérité que dans la justice, il n’est de justice que dans la vérité disait Zola.

Votre nouvelle conception de l’administration de la justice n’est-elle pas un aveu d’échec, ou dois-je tout simplement comprendre que la justice n’est finalement qu’un idéal ?

Permettez-moi encore de rêver à cette justice juste et équitable qui respecte les droits de la défense, et ne banalise pas l’humain que je suis.

Permettez-moi encore de rêver à cette justice qui met un point d’honneur à la forme classique du procès pénal et au respect du temps des plaidoiries, car vous conviendrez avec moi que c’est du temps des grandes plaidoiries faites lors des procès mythiques que la France a écrit une page de son histoire dans le Livre des Droits de l’Homme et des Libertés.

Des exemples sont légions : Robert BADINTER dont la plaidoirie lors du procès Patrick HENRY en 1977 a forcé l’abolition de la peine de mort, Christian CHARRIERE-BOURNAZEL dont la plaidoirie lors du procès de « la garde à vue » contre le Syndicat de policiers Synergie-Officiers en 2010 a déterminé le Conseil Constitutionnel à mettre en marche la reforme sur la garde à vue.

Avec votre ordonnance N° 2020-303 du 25 mars 2020, vous m’éloignez fortement de cette justice-là, celle qui respecte mes droits fondamentaux reconnus par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des Libertés[2], adoptés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne[3], et consacrés dans la Constitution[4], notamment mon droit à un procès équitable qui respecte les droits de la défense.

Par votre ordonnance, vous empiétez sur ces droits et me faites douter finalement de la justice, cette nouvelle forme de justice.

D’ailleurs, Reine MALOUIN n’a-t-elle pas raison d’affirmer que : « La justice, elle n'existe pas. Il y a rêve de justice dans l'esprit de certains hommes, c'est tout. » ?

Oui ! Je suis condamné !

Condamné par cette nouvelle forme de justice qui enlève à la justice française d’alors toute son essence et sa quintessence.

Cette course effrénée vers le numérique, vers les nouvelles technologies m’effraie tout simplement et me déshumanise à la limite.

La menace sanitaire est certes réelle mais surmontable. D’ailleurs des mesures sont prises pour permettre le fonctionnement normal d’autres secteurs d’activités avec des précautions d’hygiène et ça marche !

Qu’est-ce qui change quand il s’agit de me juger ? N’est-il pas possible de mettre en place ces mêmes mesures de protection et permettre que je sois défendu régulièrement dans un procès comme cela a toujours été le cas ?

Oui ! Je suis condamné !

Et du fond de ma cellule, seul face à ces quatre murs froids et austères, je crie de toutes mes forces vers vous, car c’est dorénavant le lieu que vous m’avez choisi pour mon procès . . .

LIBEREZ MOI ! PERMETTEZ-MOI DE PLAIDER MA CAUSE AVANT DE DECIDER DE MON SORT !

NON ! NE ME JUGEZ PAS SANS AVOIR ECOUTÉ MA PLAIDOIRIE DANS CETTE BELLE ET GRANDE SALLE D’AUDIENCE !

[1] Dictionnaire juridique de Serge BRAUDO ,https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/proces.php (Consulté le 14/04/2020). [2] Articles 10 et 11 al.1 de la DUDHL de 1948. [3] Article 41 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. [4] Préambule de la Constitution de 1958.

 
 
 

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