LE DROIT A L’IMAGE ET INTERNET, QUAND LES RESEAUX SOCIAUX DEVIENNENT UNE ARME DE DESTRUCTION MASSIVE
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 8 mai 2020
- 10 min de lecture
« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes[1]. »
Cette position tranchée des Nations Unies est partagée et reprise par les divers instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux.
La vie privée a toujours fait l’objet d’atteinte par divers moyens que l’on pourrait qualifier de classiques. L’avènement de l’internet et les réseaux sociaux ont multiplié et facilité les modes d’atteinte à la vie privée, atteintes qui peuvent être le fait des personnes privées mais aussi de certaines organisations ou même des entreprises.
Si l’on s’en plaignait déjà, le confinement suite à la pandémie du COVID-19 a fait exploser le flux des violations du droit au respect de la vie privée et par ricochet du droit à l’image.
Mais qu’est-ce que le droit à l'image ?
Le droit à l’image peut s’entendre du « droit dont dispose toute personne d'autoriser ou non la reproduction et la diffusion publique de son image reconnaissable » que cette image soit reproduite par photographie, vidéo, sculpture, dessin...[2]
Ainsi défini, le droit à l'image protège toutes les personnes, qu'elles soient célèbres ou non, qu'elles soient seules sur l'image utilisée ou parmi une foule (dès lors qu'elles sont identifiables).
On constate malheureusement, de plus en plus, une prolifération de stars d’un nouveau genre sur la toile (influenceurs) qui, pour attirer un grand nombre de « followers » ou d’abonnés, font usage des images, sons et vidéogrammes de personnes publiques ou privées sans leur consentement préalable.
A la recherche d’un grand nombre de « like », de « partage », et d’abonnés ou suiveurs (followers), les « influenceurs » n’hésitent pas à insérer dans leurs publications, dans leurs « directs » des vidéogrammes ou images des tiers dont ils n’ont préalablement pas requis l’autorisation.
Ces « influenceurs » et toutes les personnes qui publient, re-publient, twittent, re-twittent, partagent ou re-partagent les publications contenant les images, vidéogrammes, sons et enregistrements vocaux sont-ils avertis de la réglementation en vigueur ? Sont-ils conscients des risques et conséquences juridiques auxquels ils s’exposent en usant des images et/ou vidéogrammes de personnes publiques ou privées sans leur consentement préalable ?
Le principe en matière d’exploitation de l’image
En principe, la personne titulaire du droit à l'image a seule le droit d'en autoriser l'exploitation, sauf lorsque des principes plus importants tels que la liberté d'expression ou le droit à l'information sont en jeu ; encore que ces principes sont appréciés par le juge du fond qui est saisi d’une demande en réparation suite à la violation du droit à l’image.
La Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose à cet effet que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance… »[3]. Cette position a été confirmée par la Cour Européenne des Droit de l’Homme qui a considéré que :
« L’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses paires. Le droit de la personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel. Elle présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image, laquelle comprend notamment la possibilité pour celui-ci d’en refuser la diffusion (...)[4] ».
Exceptions
Toutefois, des raisons peuvent justifier la violation du droit à l’image et du principe de l’autorisation préalable ; et ainsi exonérer leurs auteurs de leur responsabilité :
Il s’agit notamment de : la sécurité publique, la santé publique ; les raisons liées à l’actualité et à l’histoire, et parfois les exigences liées à la collecte des données personnelles qui imposent par exemple de révéler des informations personnelles, propres à une personne et permettant de l’individualiser.
Ces mesures d’exception sont bien encadrées par l’article 8 alinéa 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui dispose que : « Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
La Cour Européenne des droits de l’Homme reconnait toutefois, en consacrant la liberté d’expression de l’article 10 de la CEDH, une exception du droit à l’image à tous les individus lorsqu’il s’agit du droit à l’information[5].
Encore faudrait-il que la dignité humaine ne soit aucunement remise en cause et que l'utilisation de l'image ne poursuive pas un but commercial pour voir le droit à l'image d'une personne céder le pas à la liberté d'expression ou le droit à l’information.
Il faut préciser, s’agissant de l’autorisation préalable, qu’elle est particulière pour les mineurs et les sportifs participant à une compétition ou à une manifestation. Tandis que pour les premiers l’autorisation des parents est requise en plus de celle du mineur, pour les seconds elle relève plutôt de la compétence de l’organisateur qui détient par ailleurs les droits d’exploitation.
Comment protéger son image à l’ère des réseaux sociaux ?
La première mesure de protection qui se dégage des différents instruments juridiques cités est l’autorisation préalable.
Elle doit être explicite, écrite, signée, datée, et doit mentionner précisément les modalités d'exploitation autorisée à savoir : nature des prises de vues, support de publication, l’objectif poursuivi par la publication de l’image, la durée et le lieu de l’exploitation autorisée. Une nouvelle autorisation sera requise à chaque changement d’un de ces éléments.
Cette mesure est doublement protectrice du propriétaire de l’image exploitée et de l’auteur de l’exploitation car en cas de procédure judiciaire, c’est à l’auteur de l’exploitation de l’image de prouver qu’il disposait d’une autorisation préalable. On comprend dès lors que l’autorisation verbale, même si elle n’est pas exclue, poserait des difficultés de preuve si le propriétaire de l’image venait à la nier.
D’autres mesures existent également et concourent à la protection du droit à l’image. On peut citer entre autres le droit d’accès et de rectification des données personnelles, le retrait de l’image par l’auteur de son exploitation, l’action civile en réparation pour atteinte au droit à l’image et à la réputation[6], l’action civile en cessation d’exploitation de l’image, l’action pénale sur le fondement de l’article 226-1 du code pénal français, le droit à l’oubli et le recours aux spécialistes du Web (e-nettoyeurs).
Les mécanismes de l’atteinte au droit à l’image et les risques encourus
On peut porter atteinte au droit à l’image et/ou à la vie privée par plusieurs mécanismes sur les réseaux sociaux :
- En publiant ou relayant une publication contenant les images d’un tiers sans son consentement préalable ;
- En passant un appel, lors d’un « direct », et en retournant son écran vers le public dévoilant ainsi l’identité de son interlocuteur sans son consentement ;
- Le “morphing’’ ou détournement d’images qui consiste à détourner de son sens une image reconnaissable avant de la publier sur internet sans le consentement de celui qui figure sur l’image ;
- La caricature à but commercial.
Les risques encourus par l’auteur de l’exploitation de l’image
L’auteur de l’exploitation de l’image d’un tiers sans son autorisation préalable s’expose aux poursuites judiciaires tant civiles que pénales.
Il peut donc être poursuivi en paiement de dommages-intérêts au civil en réparation du préjudice causé par l’exploitation de l’image. C’est d’ailleurs la décision rendue par le TGI de Yaoundé dans l’affaire YOMBA Madeleine C/ Les Brasseries du Cameroun qui a retenu la responsabilité civile de la société défenderesse et de l’agence RAPHO en vertu de l’article 1382 du code civil et les a condamné à payer la somme de 1 000 000 FCFA à la requérante.
Il peut également faire l’objet de poursuites pénales selon les systèmes juridiques français, marocain, allemand et belge[7].
Malheureusement, la plupart des pays africains n’ont pas légiféré sur le droit à l’image, ce qui fait de ce droit un droit à connotation jurisprudentielle[8]. Ceci n’exclut cependant pas que des palliatifs soient trouvés çà et là dans les codes civil et pénal pour sanctionner les auteurs de cette violation. C’est par exemple le cas du code pénal malien qui sanctionne l’atteinte à l’intimité à son article 125.
L’auteur de l’exploitation de l’image d’un tiers sans son autorisation peut également se voir ordonner le retrait de ladite image.
Ces risques encourus par l’auteur de l’exploitation de l’image d’un tiers sont justifiés dès lors qu’il n’a aucunement le droit de disposer des images qui ne lui appartiennent pas.
En définitive, « l’auteur de l’exploitation d’une image d’un tiers doit savoir qu’il a le droit d’aller consulter le profil public sur Facebook ou autre réseau social du tiers en question, mais il n’a pas le droit de s'approprier l'image et en tirer un usage commercial[9] ».
La protection particulière des mineurs
En consultant les sites internet tels Facebook, Instagram, Tik-Tok … on tombe régulièrement sur des images et vidéogrammes où des mineurs parfois frappés d’un handicap apparaissent comme des vedettes ou alors leurs voix utilisées pour agrémenter des passages comiques.
Il est d’ailleurs courant de retrouver des images ou vidéogrammes mettant en exergue des mineurs dans des postures osées et provocatrices. Il s’agit là des cas de violations ou abus de mineurs. Violation de leur droit à l’image qui couve parfois des violences sexuelles (celles-ci pouvant être verbales, physiques ou psychologiques).
La Convention des Nations Unies relatives aux Droits de l’Enfant met un point d’honneur sur la protection de ces êtres fragiles à son article 16 qui dispose que : « 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes[10]. ».
Cette protection est également assurée par la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant en son article 10 qui dispose que: « Aucun enfant ne peut être soumis à une ingérence arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son foyer ou sa correspondance, ni à des atteintes à son honneur ou à sa réputation, étant entendu toutefois que les parents gardent le droit d’exercer un contrôle raisonnable sur la conduite de leur enfant. L’enfant à le droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou atteintes ».
On croirait que le mineur du fait de sa minorité et donc de son incapacité ne bénéficie pas d’une protection aussi stricte de son droit à la vie privée, donc de son droit à l’image. C’est tout le contraire. Bien qu’incapable, le mineur reste au demeurant incontournable dans l’exploitation de son image. Mais comment prouver sur le plan pratique que l’autorisation du mineur a été bel et bien recueillie ? Là est toute la question qui ne manque pas d’intérêt tant le droit à l’image est assez vaste et complexe.
L'article 9 du code civil français prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ».
Ainsi défini, le droit à l'image est un droit de la personnalité exclusif et absolu.
Le principe est le même aussi bien chez les personnes majeures que chez les mineurs : toute fixation, exploitation ou diffusion de l’image d’une personne, de quelque manière que ce soit, requiert le consentement de cette dernière.
La Cour de cassation française rappelle régulièrement que toute publication ou republication d’une image dans un contexte différent de celui dans lequel elle avait été réalisée, nécessite le consentement spécial de la personne intéressée.
Dans la même lancée, le code pénal belge prévoit en son article 433bis l’interdiction de toute identification d’un mineur qui a commis un crime ou envers lequel le juge de la jeunesse a pris une mesure (pas uniquement pénale, mais aussi civile, par exemple un placement dans une famille ou une institution). La sanction prévue en cas de non respect de cet article est de deux mois à deux ans de prison, ou d’une amende de 300 à 3.000 euros.
Il est dès lors important pour toute exploitation de l’image d’un mineur, de recueillir tant son autorisation que celle de ses parents, à défaut, de flouer son visage à l’effet de protéger sa vie privée.
Car même si la liberté d’expression donne le droit de diffuser des images et vidéogrammes à des fins d’intérêt général, l’intérêt supérieur du mineur doit toujours primer.
Comme le dit si bien la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « La liberté d’expression comprend la publication de photos (...). Il s’agit là néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui revêt une importance particulière, les photos pouvant contenir des informations très personnelles, voire intimes, sur un individu ou sa famille (…)[11] ».
Aussi, tous les « influenceurs » en quête de popularité ou même dans un élan de solidarité et d’aide doivent garder à l’esprit qu’ils s’exposent à des sanctions s’ils venaient à exploiter les images et vidéogrammes des tiers sans leur autorisation préalable.
D’ailleurs, ne dit-on pas que le chemin de l’enfer est parsemé de bonnes intentions ?
[1] Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des Libertés de 1948. [2] Séverine Dupuy-Busson "le droit à l'image en question" gazette du palais du 16/11/08. [3] Article 8 CEDH [4] Arrêt von Hannover c/ Allemagne,CEDH, Cour (Troisième Section), 24 juin 2004, n° 59320/00. https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/2004/CEDH001-66402 (Consulté le 5/5/2020); Arrêt Von Hannover C/ Allemagne (n°2) de la Grande Chambre du 7 février 2012, §96. [5] Arrêt Von Hannover C/ Allemagne (n°2) de la Grande Chambre du 7 février 2012, http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-3834334-4402354, (Consulté le 5/5/2020). [6] TGI Yaoundé, Jugement N° 61 du mai 1976, Aff. YOMBA Madeleine C/ Les Brasseries du Cameroun.https://www.tribunejustice.com/droit-a-limage-tgi-de-yaounde-affaire-yomba-madeleine-c-les-brasseries-du-cameroun/ (Consulté le 5/5/2020). [7] Articles 378bis et 433bis du code pénal belge. [8]En Afrique, certains pays reconnaissent un droit à l’image, législatif ou jurisprudentiel. C’est le cas du Maroc, de l’Afrique du Sud, du Cameroun, de l’Éthiopie. Tandis que le droit à l’image est reconnu par la jurisprudence au Cameroun, au Maroc il est encadré par les articles 447-1, 447-2 et 447-3 du code pénal. [9] Flore GALAUD, «Réseaux sociaux : une photo publiée est-elle publique ? », Journal Le Figaro, Société 24/02/2011, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/02/24/01016-20110224ARTFIG00600-reseaux-sociaux-une-photo-publiee-est-elle-publique.php (Consulté le 5/5/2020). [10] Article 16 de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant de 1989. [11] Arrêt von Hannover c/ Allemagne (n° 2) de la Grande Chambre du 7 février 2012, § 103), https://hudoc.echr.coe.int/eng (Consulté le 5/5/2020).
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