QU’EN EST- IL DE LA LIBERTE D’ALLER ET VENIR ?
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 17 avr. 2020
- 3 min de lecture
Le droit de se déplacer librement était déjà illustré par Pic de la Mirandole dans un petit opuscule, dont l’intitulé peut être traduit par « De la dignité humaine » …et qui a été à l’époque interdit par le Pape Innocent VIII, probablement irrité par son contenu irrévérencieux pour la religion.
Ce petit ouvrage peut être résumé ainsi :
Quand Dieu a créé le monde, il a commencé par créer les animaux. Il l’a fait en trois étapes :
1) leur conception : Dieu les crée comme animaux, ce qui nous appellerions aujourd’hui des archétypes ;
2) puis Dieu accorde à chacun de ces animaux des dons naturels spécifiques : les oiseaux volent, les poissons nagent… ;
3) enfin Dieu assigne à chaque catégorie d’animal sa place : les poissons dans l’eau, les oiseaux dans les cieux, les animaux sauvages dans les forêts…
Quand Dieu crée alors l’Homme, il se rend compte qu’il n’a pas de place à lui assigner… ; Dieu lui permet donc d’être partout, de choisir le lieu où il a envie d’être, et de se déplacer à son gré.
Ce qui signifie ainsi pour Pic de la Mirandole que l’Homme n’étant pas programmé par la Nature pour être quelque part, il peut être partout où il le décide.
C’est ce même droit qui est reconnu à l’Homme, de façon moins poétique par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, notamment par son article 13 qui reconnaît à l’être humain le droit de libre circulation : « Toute personne a le droit de circuler librement …… »
En restreignant la liberté de mouvement, sous peine d’amende, voire d’emprisonnement en cas de récidive, la loi d’urgence sanitaire du 24 Mars 2020 vient de restreindre l’un de nos droits fondamentaux, un droit lié à la dignité humaine, et qui met en cause des enjeux tant éthiques et philosophiques que juridiques.
Sur le plan de l’éthique, ou de la philosophie, être libre c’est ne pas être contraint dans son corps, c’est avoir la liberté de pouvoir circuler, se déplacer sans réserve.
Brider l’Homme dans son corps, c’est aussi l’entraver dans son esprit, c’est oublier la nécessité de l’errance pour le déploiement de la libre pensée, et la santé mentale : « solvitur ambulando » (cela se résout en marchant) ».
Kierkegaard disait : « Avant tout, ne perdez pas le plaisir de marcher ; chaque jour, je marche pour atteindre un état de bien-être et me débarrasser de toute maladie … c’est en marchant que j’ai eu mes pensées les plus fécondes, et je ne connais aussi pesante soit elle que la marche ne puisse chasser… ».
Balzac l’a dit aussi, .de façon moins poétique : « je fais mes livres en marchant ».
Bruce Chatwin, l’auteur de « l’Anatomie de l’errance » y raconte comment l’errance dans le désert l’a sauvé d’une menace de cécité, due à l’insatisfaction de sa vie sédentaire de comptable.
Observons aussi l’élévation d’esprit et d’âme des nomades, familiers des longues marches dans le désert.
Sur le plan juridique, être contraint est contraire au principe de l’autonomie de la volonté du sujet de droit.
Là se pose le problème du consentement du sujet qui a été contraint. Consentir librement, c’est se retrouver en accord avec le principe de l’autonomie de la volonté. Cette autonomie se trouve, dès l’instant où le sujet de droit consent librement à ce qui lui est imposé.
Alors posons-nous la question : comment pourrions-nous faire autrement, en cette période de crise créée par le Coronavirus, que d’accepter de consentir à ce qui nous est imposé, et de mettre à profit ce confinement, pour rentrer en nous- mêmes … et ainsi réfléchir peut-être à la responsabilité de l’être humain face à la crise ? …. Jean- Jacques ROUSSEAU nous avait déjà mis en garde : si nous ne respectons pas la Nature, elle se vengera, avait- il prédit !
On peut accepter par adhésion spontanée, par réflexion, par transformation volontaire de son être ou de son mode de pensée, par reconnaissance du caractère nécessaire de la contrainte, voire même par résignation. Quel que soit donc le fondement, quel que soit le mobile de l’adhésion, dès l’instant où cette adhésion est libre, le sujet retrouve son autonomie... Le seul fait d’adhérer, d’accepter, de donner son libre consentement nous restitue notre Liberté, nous renvoie au concept juridique d’autonomie du consentement.
Emmanuel MACRON a conclu son discours par une phrase d’une grande profondeur : « il va falloir se réinventer ; moi le premier » a-t-il dit.
Cette phrase m’a renvoyée à une phrase lue chez le philosophe et sinologue François JULLIEN, dans son livre intitulé « Dé-coïncidence » : il faut savoir « se désolidariser d’avec son moi, comme d’avec son monde, se désolidariser de ses adhérences… » disait-il.
« Se désolidariser d’avec son moi... », n’est-ce pas « se réinventer » ?
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