UNE NOTE DITE DIPLOMATIQUE...
- Jacques-Brice MOMNOUGUI
- 1 mai 2020
- 4 min de lecture
Le 24 Mars 2020, Une « Note diplomatique », à l’en-tête du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, était adressée à 32 personnalités politiques éminentes, ou organismes nationaux et internationaux.
Cette Note diplomatique, interne aux réseaux du Quai d’Orsay, émanait d’un Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS), groupe de réflexion du Ministère des Affaires étrangères français, chargé de mener des missions d'analyse de l’environnement international, de faire des recommandations stratégiques et d'assurer une présence française dans les cercles de réflexion et de débat européens et internationaux.
Ce document, à l’origine strictement confidentiel, s’est trouvé commenté par le journal La Tribune, et a fait le tour des réseaux sociaux !
Rien n’arrive par hasard. Le hasard n’est « qu’un rendez- vous fixé par Dieu » disait Einstein. Il fallait donc que ce document confidentiel franco-français apparaisse pour qu’éclate au grand jour la position demeurée paternaliste de la France à l’égard de l’Afrique.
Tout récemment, la proposition médicale indécente de tester le vaccin du coronavirus en Afrique révélait les traces persistantes d’un colonialisme enraciné dans les esprits.
Coïncidence ou suite logique, la Note officieuse, mais rendue publique par sa fuite sur les réseaux sociaux, vient conforter, s’il en était encore besoin, cette rémanence regrettable.
En nous en tenant à l’essentiel, voici ce que dit cette Note : « l’onde de choc à venir du Covid-19 en Afrique pourrait être le coup de trop porté aux appareils d’Etat….. (qui) va faire massivement la preuve de son incapacité à protéger ses populations».
L’auteur de ce pamphlet macabre, se prenant pour l’oracle de Delphes, laisse libre cours à son imagination morbide, en dépeignant les désastres dignes des tragédies grecques, qui seraient inéluctablement voués à s’abattre sur le continent africain: classes moyennes fragilisées, besoins de premières nécessités, hausses de la délinquance, discrédit frappant les paroles institutionnelles, rumeurs populaires, violences collectives, nombre trop élevé de décès…(susceptible d’être) «le déclencheur des processus de transition politique ».
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Cette déclinaison au conditionnel de la liste apocalyptique des désastres à venir, est suivie par une conclusion révélatrice de la rémanence d’un esprit colonisateur, qui conduit l’auteur de la Note à écrire que ces faits « doivent nous conduire dans « NOS EFFORTS DE GESTION DE LA CRISE EN AFRIQUE » (sic !), qui « obligerait (la France) à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition » !
L’auteur de la Note destinée aux autorités françaises indique, par voie de conséquence, avec un cynisme révélateur, les modalités de cette inadmissible « gestion de la crise en Afrique par la France : « ANTICIPER LE DISCRÉDIT DES AUTORITÉS POLITIQUES », (ce qui) signifie ACCOMPAGNER EN URGENCE D’AUTRES FORMES D’AUTORITÉS AFRICAINES CRÉDIBLES POUR S’ADRESSER AUX PEUPLES. AFIN D’AFFRONTER LES RESPONSABILITÉS DE LA CRISE POILTIQUE QUI VA NAÎTRE DU CHOC PROVOQUÉ PAR LE COVID -19 EN AFRIQUE… »
Ce n’est donc pas une aide, une assistance ou un partenariat, (à l’image de ce que font d’autres puissances amies de l’Afrique, telles l’Allemagne ou la Chine, qui livrent au continent africain des masques, des gants…) qu’apporterait la France ; son intervention se traduirait par un recours à d’autres « autorités africaines » susceptibles de s’adresser au peuple, telles « les diasporas » (c’est à dire bien souvent des opposants !), ou « les artistes populaires ».
« La Note diplomatique » destinée aux autorités politiques françaises est ainsi révélatrice de la persistance de l’esprit de colonisation, qui conduirait l’ancien colon à reprendre ses pouvoirs de contrôle et de décision en Afrique.
La France aurait- elle oublié qu’elle n’a plus à prétendre à une quelconque « gestion de la crise en Afrique » ? Elle n’est plus concernée par cette gestion. La colonisation est terminée. Le temps est au partenariat, et à une coopération réelle, pas à un asservissement.
Un dernier point à signaler et non des moindres : la Note concernée porte la date du 24 mars 2020.
Or, Il suffit de se référer à la courbe de la propagation du virus dans les différents pays, pour constater qu’à cette date du 24 Mars la France n’était pas encore sévèrement impactée par le virus. Ainsi, à l’époque de la rédaction de la Note du 24 Mars, on ne savait pas encore comment la crise serait gérée en France.
La France peut- elle réellement prétendre qu’elle a su gérer la crise mieux que l’Afrique ?
En conclusion, en cette période difficile pour le monde entier, le temps n’est pas à la discorde, mais à la solidarité. Le temps n’est plus à l’arrogance, ni au mépris. Il n’est pas celui du Jugement (« Juger ce n’est pas comprendre, car si on comprenait, on ne jugerait pas »). Le temps est celui de l’ouverture des uns aux autres.
Le Temps n’est plus celui du mépris des autres cultures, il est celui de l’ouverture à la culture de l’Autre, il est celui du vrai échange, du véritable dialogue des cultures. Chacun peut et doit apprendre des autres. « Enrichissez-vous de vos différences » disait Saint Exupéry.
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